And so, Jong-du can wait, he knows it's too late...

Ouverture : plan fixe et symbolique d'une tapisserie orientale représentant un oasis sur lequel on peut apercevoir la silhouette envahissante d'un arbre aux branches décidément bien trop menaçantes ; cet instant me transporta en arrière, au milieu de ce salon qui berça mon enfance et où je contemplais, les cheveux bouclés, une tapisserie de la même sorte, grossièrement dessinée mais dégageant un charme enfantin, onirique - je restais des heures le regard accroché, me demandant si un jour, ma vie serait aussi heureuse que le sourire qui arpentait le visage des protagonistes de l'oeuvre.

Sauf que dans le cas du film de Lee Chang-Dong, oasis ne rime pas avec bonheur mais avec isolement ; cet isolement dont le protagoniste ne cherche même pas à sortir, car il est déjà bien trop tard. Sitôt sorti de la solitude carcérale, il est sans attente propulsé dans une vie familiale qui non seulement n'a pas attendu sa présence pour continuer, mais s'est nourrie de son absence pour prospérer - changement d'adresse, et s'il reconnecte avec sa famille par des circonstances plus que fortuites, ce n'est que pour écouter des paroles sans détour lui signalant que "Tout allait bien mieux quand tu n'étais pas là".

Jong-du est irrécupérable, et c'est bien là toute sa détresse et sa force ; réprimandes constantes d'un frère à qui pourtant, il a pris la place en prison. Volontairement. Après tout, jamais deux convictions sans une troisième - comment peut-on gâcher sa vie quand celle-ci n'a jamais véritablement commencée? Mais plus qu'un sacrifice, plus qu'un don de soi, c'est une éternelle nonchalance qui semble animer faits et gestes de notre homme. Irrécupérable il l'est, et sans honte.

La rencontre entre l'isolé social et l'isolée physique réussit à ne pas tomber dans le pathos qui semble pourtant être le défaut de la plupart des films du genre - l'handicapée moteur dont le nom signifie Princesse, celle qui s'imagine, dans la scène où elle est introduite, telle une colombe virevoltante dans la déchetterie qui lui sert d'appartement, celle qui ne semble vivre que par les sons et silhouettes qu'elle entend et entraperçoit - celle qui doit subir les assauts d'un Jong-du qui se dit intéressé par son cas. Oui, mais surtout intéressé par sa poitrine et ce qui peut se cacher sous sa robe.

Bien sûr, Jong-du est maladroit et humain, bien trop humain - mais l'intérêt sexuel est un intérêt que l'on porte aux êtres, à l'inverse des voisins d'à côté qui, chargés de la surveiller, ne se gênent pas pour s'ébattre sous ses yeux; un peu comme quand jeunes, on trouve amusant de réaliser l'acte avec le chat qui, du rebord de la fenêtre, nous regarde la tête penchée et les yeux intrigués. Oui mais voilà, Gong-ju n'est pas un chat alors elle le rappelle, lui le malotru, lui l'irréparable, tentant tant bien que mal d'articuler les quelques mots suffisants à une communication basique.

Mais il est bel et bien trop tard pour Jong-du ; et si sa Princesse de quelques jours ne peut être sauvée de son handicap physique, lui également ne peut être sauvé de sa maladresse sociale - ici, pas d'amour salvateur et transformateur ; et si le réalisateur s'autorise quelques niaiseries amoureuses, la dureté ambiante qui règne en maître nous ramène rapidement vers cette atmosphère oppressante dans laquelle on se noie, sachant très bien que tout se finira en queue de poisson.

Il est amusant de noter le symbolisme liant les deux scènes qui servent de tournants au film ; la première, celle d'une tentative de viol, qui liera finalement les deux âmes perdues ; la deuxième, celle d'une scène d'amour, qui sera elle prise pour un viol par des spectateurs rentrés un peu trop tôt, et qui séparera les deux amants - le dernier acte du film est chargé de cette apocalypse sociale où rien ne peut être sauvée, où l'handicapée moteur, bien que douée de paroles, ne peut prononcer, apeurée, celles qui sauveraient Jong-du ; et où l'intéressé ne cherchera même pas à se dédouaner d'un crime que cette fois, il n'a pas commis. Comme résigné.

Et s'il réussit à s'enfuir quelques heures des griffes de la police, ce n'est que pour trancher, dans une scène magistrale, les branches de cet arbre qui décidément, gâchait bien trop les nuits de son amante ; nuits passées à contempler, effrayée, un oasis envahi d'une présence maléfique. Enfin, oui enfin, rien ne pourra plus gâcher l'oasis que les deux se seront construit.

Jong-du definitely won't look back in anger, I heard him say.
Mingus
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le 23 juil. 2014

Modifiée

le 23 juil. 2014

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Mingus

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