Oasis est une tragédie; c'est l'histoire d'un amour impossible entre deux êtres marginalisés: le père de la jeune handicapée a été assassiné par le frère du héros qui tombe amoureux d'elle. C'est l'histoire d'un innocent, Jong-Du, finalement coupable d'un crime passionnel, injustement puni pour avoir consommé un amour inconcevable.


Spleen et Idéal


Gong-ju est prisonnière du mouvement perpétuel et involontaire de ses membres. Elle ne peut être que là où l'on veut qu'elle soit, ne peut faire que ce que l'on pense qui est bien pour elle. Elle est méprisée, simplement parce qu'elle est incomprise. Elle a un corps, mais ce corps est doté d'une conscience, et d'une intelligence. Oasis nous plonge dans sa subjectivité, nous met face à ses mirages, ses craintes, ses désirs, et nous montre froidement la violence dont elle est sujette. Oasis est un film intense, qui nous prend au corps. La douleur est perpétuelle, parce que sous l'effet d'une pathologie passionnelle, les gestes de Gong-Ju exacerbés par ses humeurs se substituent aux mots, projettent dans le visible une conscience sinon un subconscient : ce pathétique est insoutenable. Jong-Du est son propre martyr, elle est comme enterrée vivante et rêve d'amour pour ne plus avoir peur : elle hallucine une réalité, parfois même projection de ses propres fantasmes.
Oasis nous met face à cette « princesse » qui contemple son impuissance : l'actrice apparaît à l'écran lorsque le personnage s'imagine, et qu'elle s'émancipe de son handicap pour réaliser ses rêves ponctuels. Au-delà d'un simple procédé de distanciation, c'est l'occasion de porter un discours plus général sur la représentation, de soi et par le cinéma : il s'agit de prendre du recul sur l'instant présent, pour y trouver quelque chose d'universel, atteindre un idéal dans un moment d'humanité peut-être... Ou simplement montrer que les choses ne peuvent pas être autrement : le handicap n'altère pas la conscience mais rend impossible une vie matérielle.


Séances de lutte


La violence à l'écran est réelle, elle s'inscrit dans un discours politique sur la détresse sociale et l'isolement, montrant que l'intégrité n'est pas simplement une question de tolérance ni même de communication, c'est une question de contexte et de respect de l'autre. C'est une question de regard, de point de vue. Pour ce faire, le spectateur est pris au corps, et souffre (accessoirement) d'être lui-même impuissant voire indifférent à quelque chose qu'il ne peut pas vivre. Sans tomber dans un discours général sur la tolérance, on dira que les questions qui nous sont posées ici sont relatives à la normalité, à la nature humaine. C'est tout l'intérêt de la mise en scène de ce corps-à corps nerveux dans un cadre granuleux : le réalisme et la distanciation – plus ou moins Brechtienne - permettent le pathétique sans pousser à outrance, sans déréaliser, malgré des plans surréalistes, des jeux de lumière blanchâtre évoquant le rêve et des mises en abîmes, car il s'agit bien de mettre en scène un drame psychologique. Oasis matérialise un tourment intérieur dans le cadre, et c'est pour cela même que le pathétique n'est pas dans le geste mais sur notre plan de conscience, là où le film retrouve son unité. L'horreur du film se construit par une mise en scène du pénible, par la force de l'évocation. On se doute toujours sans jamais savoir ce qu'elle pense, or l'imagination est plus redoutable que l'image en matière d'appréhension. La solitude du personnage est mise en évidence par cette mise à distance,grâce à une esthétique documentaire et surréaliste : le film s'élabore devant le spectateur, conscient des illusions de libertés individuelles réprimées par un corps social.


Rédemption


Quelle est la morale de cette histoire ? Le spectateur est complice, coupable d'impuissance mais pourquoi ? Oasis est un affaire de justice, de morale. Un rapport à l'intime, au domaine privé, à la propriété peut-être est remis en question par le biais de la psychologie de ces personnages. Le personnage masculin semble être un « cas social » : avait-il le droit d'aimer ? Pourquoi les nerfs du spectateur doivent-ils être réduits en compote devant une telle intensité émotionnelle ? Que de questions, que de violence : si ce film est insoutenable c'est parce qu'il nous violente, que la princesse l'est à plusieurs reprises, une première fois, c'est son individu, c'est à sa pudeur que l'on porte atteinte lorsqu'elle est ignorée par les siens, un seconde fois c'est de l'acte relativement « what the fuck » d'un homme qu'elle est victime, son homme, et c'est enfin pour son propre désir -ambigu- qu'elle est punie. Justice faite ou pas, je n'ai pas envie d'y réfléchir, simplement parce que ça me pèse. Oasis s'attaque à des tabou (s ?) et viole la conscience de son spectateur s'il est un tantinet philanthrope ; il lui rappelle que ses craintes ne sont rien, et que le pire n'est pas dans la douleur du corps. Oasis, ce sont des situations désespérées dans des décors réels, c'est un film réussi pour ce qu'il provoque, c'est à dire une empathie illusoire, et nous montre quelqu'un qui crie du fond de sa prison charnelle. Oasis, c'est ce rêve où l'on crie et que personne ne nous entend, simplement parce que tout est sourd, mais c'est aussi rêver d'un oiseau blanc qui s'envole, c'est à dire un message de paix, une acceptation de soi, de l'autre, une manifestation du deuil.


« Ne commencez jamais un mariage par un viol »
Honoré de Balzac.

Camille_H
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le 29 oct. 2015

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Camille_H

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