Ok, je me jette à l'eau : Joseph Kosinski est un futur grand. Bon, ceci implique que le gars a encore pas mal d'efforts à faire pour que ma prophétie ait la moindre chance de se réaliser... mais l'essentiel est là. Qu'est-ce que l'essentiel ? D'abord un solide talent de faiseur d'images, d'artisan ; ensuite, la capacité à créer un monde, qui manque cruellement à la plupart des réalisateurs hollywoodiens. Kosinski a ça.


Il y a deux ans, la critique avait incendié son précédent et premier long-métrage (!), Tron Legacy, dont le scénario écrit à la truelle avait fait grincer bien des dents, à commencer par celles des fans du premier film. C'était négliger la question de l'image et du son, parfaitement superflue pour certains, on s'en doute... car l'image et le son de Tron Legacy sont d'une splendeur orgasmique (oui, carrément), portés par la virtuosité architecturale de Kosinski (sa formation), la photographie avant-gardiste de Claudio Miranda (Benjamin Button, anyone ?), et l'inspiration de Daft Punks en très grande forme. On peut apprécier nombre de ses scènes comme des clips musicaux, et certains y verraient un défaut, mais Highlander souffrait déjà des mêmes critiques, il y a vingt-cinq ans...


Deux ans plus tard, avec son nouveau blockbuster de SF Oblivion, Kosinski subit à peu près les mêmes foudres (surtout de la part des critiques américaines, parfois étonnament cyniques en comparaison des nôtres, alors qu'on aurait tendance à croire l'inverse). Des foudres encore moins justifiées que précédemment, puisqu'il constitue une NETTE amélioration du cinéma kosinskien : critiqué pour s'intéresser davantage aux paysages qu'aux personnages, le gars a retenu la leçon, et accouché de personnages plus étoffés (même si la plupart d'entre eux ne dépassent pas le stade de vignettes sexys) ; et à côté de ça, on y trouve la même maîtrise d'un univers cohérent jusqu'au moindre détail, et le même goût pour les histoires grandioses aux accents messianiques qui avait fait tout le pouvoir de divertissement de Tron Legacy. Alors why ? Peut-être parce qu'il est de bon ton de taper sur Cruise (les mentions des critiques négatives de Rotten Tomatoes à la scientologie sont nombreuses...), alors qu'on louera l'instant d'après la coolitude d'un RDJ en roue libre, et d'un Iron Man 3 pourtant plus raté encore que le précédent opus ? En partie, probablement. Mais après ? Parce qu'Oblivion n'est ni Blade Runner, ni 2001 ? Certes. Il n'est pas un tas d'autres choses que l'on souhaiterait voir dans tous les films du monde. Mais il serait bon de s'arrêter sur ce qu'il est.


Ce qu'il est, c'est un spectacle franc et carré comme son interprète, formidable dans son action et réjouissant dans les émotions qu'il parvient à y distiller, là où le spectateur s'y attend le moins. Esthétiquement moins novateur que Tron Legacy (l'inverse aurait été difficile) mais visuellement aussi splendide (voir la maison au-dessus des nuages), Oblivion confirme la maîtrise de l'espace cinématographique de Kosinski à travers des scènes d'action généralement bluffantes, dont une effleure l'anthologie (la poursuite entre le vaisseau de Jack et les drône dans des crevasses traîtresses, réminiscente des faufilement du Millennium Falcon à la surface de l'Etoile Noire dans Star Wars). Les détracteurs du film citent les emprunts éhontés à plusieurs films de SF, tels Moon, Omega Man, ID4, Matrix, etc., mais il ne s'agit jamais que d'influences assumées dans le cadre d'un hommage au genre lui aussi parfaitement assumé. Son écriture inégale échoue à associer des sentiments viscéraux à sa terre atomisée (on n'est pas exactement dans un film de Cassavetes, en gros), mais parvient tout de même à créer un VRAI personnage, celui de Victoria (joué par l'émouvante et fragile Andrea Riseborough, qui éclipse presque Olga Kurylenko), figure tragique d'une malédiction à travers les âges et les enveloppes, que le film aurait gagné à développer davantage encore.


Par ailleurs, Oblivion rappelle la préciosité, dans le champ des blockbusters d'action, de la "marque" Tom Cruise, unique star de son calibre capable et libre d'effectuer ses cascades (souvent risquées) de par sa nature de producteur qui peut envoyer tout le monde chier. Quand Brad Pitt a besoin d'une doublure pour descendre des escaliers, Tom Cruise escalade le Burj de Dubai et envoie à cent à l'heure ses bolides tonitruants, Certes, le cinéma reste du cinéma, mais pour je ne sais quelle raison, ce détail-là aussi a son importance aux yeux du spectateur. Certes, Tom Cruise fait du Tom Cruise. Mais il le fait comme personne.

ScaarAlexander
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le 26 mai 2013

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Scaar_Alexander

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