Okja
7
Okja

film de Bong Joon-Ho (2017)

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Ce film aurait pu être un chef-d'oeuvre.

Difficile d'être objective quand je parle d'un film de Joon-ho Bong. J'aime le ton de ses scénarios et le regard critique qu'ils portent sur la société sans jamais à proprement parler accuser ou livrer un avis tranché. Memories of Murder, The Host et Mother sont à mes yeux des films profondément subtils, quand bien même certains comportent leur lot de défauts. Même Snowpiercer – que je ne mets pas dans le même panier en raison qu'il s'agit d'une adaptation et non d'un scénario original – invite bien plus au questionnement qu'à la condamnation. En regardant Okja, je m'attendais à rencontrer un film écologiste dans la veine de The Host, un film qui plongerait brutalement une jeune fille et son meilleur ami porcin dans la dure réalité de l'industrie alimentaire pour en pointer subtilement les abus.


Le film déborde de bonnes intentions, à l'image de sa protagoniste. L'empathie naît très rapidement à l'égard de Mija et d'Okja. Susciter une empathie aussi forte pour un cochon relève même d'une certaine prouesse. En cause, avant tout, le regard humanisé à outrance de l'animal. Humain, oui, mais surtout familier, au même titre que le regard quotidien de votre chien ou de votre chat. Okja, l'animal familier, est également un être doté d'intelligence, une intelligence carrément exacerbée dans la fameuse scène de sauvetage où elle évite à Mija une chute fatale, mais une intelligence dont la mention n'est pas injustifiée. D'une part, il s'agit de signaler au spectateur qu'Okja comprend tout ce qui va lui arriver par la suite, tout comme d'instinct la plupart des animaux comprennent que la fin est proche quand on les emmène à l'abattoir ; ce qui pourtant n'apparaît pas comme évident au commun des mortels qui suppose simplement qu'un animal est dépourvu de conscience – mettez certaines espèces face à un miroir et on en reparlera... D'autre part, l'intelligence d'Okja rappelle que de nombreux animaux dont les facultés cérébrales devraient nous inspirer un minimum d'estime sont pris pour cible par l'industrie agro-alimentaire au même titre que des bestiaux du bas de la chaîne alimentaire : le cheval, le requin, le poulpe, et je ne parlerai même pas des folies alimentaires qui ont lieu en-dehors de nos frontières.


Les limites du film commencent à apparaître au travers des personnages secondaires. Lucy Mirando, annoncée dès le départ comme un personnage clé, est une femme au passé familial complexe qui à bien des égards fait montre de bonnes intentions, lesquelles ne relèvent pour la plupart que du marketing. Lucy, qui incarne dans le film le haut commandent de l'industrie alimentaire, est un personnage nourri par ses propres idéaux, qui manifeste un grand besoin de reconnaissance mais qui dans une certaine mesure pense également bien faire. Il s'agit d'une personne qui vit en décalage des réalités sur lesquelles elle a un impact négatif, mais pas d'un être foncièrement mauvais. Quel dommage que son point de vue ne soit pas davantage développé et surtout qu'à aucun moment le dialogue ne soit ouvert entre elle et Mija, ou les membres du FLA.
Les membres du FLA, quant à eux, ne peuvent pas être accusés d'être stéréotypés. La non-violence prônée sur le terrain est démentie par l'emportement de Jay dans la sphère privée. Red est sensible et fait preuve de modération. L’extrémisme de Silver qui jeûne pour limiter son impact environnemental est réfuté par ses pairs en tant que solution sur le long terme. Quant à K, il est bien plus attiré par le buzz du mouvement que par la cause animale en elle-même. Cependant, si les personnages ont leur place dans l'intrigue, leur rôle et l'ampleur qu'il prend conduisent cette dernière à adopter un point de vue unilatéral. Pire encore, la « méthode choc » que le petit groupe emploie pour révéler au monde les atrocités commises par le géant mondial de l'élevage porcin laisse complètement de côté la subtilité du point de vue de Mija et les motivations de Lucy.


Certes, les abattoirs et les élevages intensifs comptent leur lot de sadiques dégénérés, à l'image du Dr. Johnny Wilcox, qui pour le coup a sombré dans une pâle caricature de bourreau narcissique. Sans doute un vétérinaires lambda avec une vie personnelle compliquée et emprunte de frustrations aurait-il eu plus d'impact que l'ex super-star tombé dans l'alcoolémie. Les faiblesses d'Okja émanent principalement du fait que la maltraitance animale n'est assimilée à personne d'autre qu'à ce personnage de sadique stéréotypé, alors que dans les faits la maltraitance des chaînes d'élevage est principalement due à des travailleurs lambda qui exécutent la tâche qu'on leur confie sans se poser de question et sans considérer l'animal comme un être vivant demandeur d'attention et capable de souffrance ; des travailleurs qui pourtant ne sont pas nécessairement de mauvais humains. La vision que livre le film du laboratoire et de l'abattoir manque cruellement d'humanité, de doutes, de questionnements, de perspectives d'évolution. Le Dr. Johnny Wilcox mentionne en effet qu'en tant qu'ami des animaux il ne devrait pas commettre de tels actes, mais en même temps il n'hésite pas une seconde à faire souffrir Okja. Seul le préposé à l'euthanasie fait finalement preuve d'humanité et de relief en suspendant son travail pour regarder la photographie apportée par Mija.


Malgré ses maladresses et le manque de perspectives qu'il esquisse, Okja demeure un film plein de beauté et porteur d'un message profond. Il est cependant difficile d'imaginer qu'une vision aussi peu nuancée de l'élevage intensif et de l'abattage à la chaîne conduise réellement à la réflexion ceux qui n'ont jusqu'alors jamais remis en cause ce mode de production. Après ce film, ceux qui achètent leurs saucisse à base de viande élevée dans on-ne-sait-quelles-conditions au fin fond des pays de l'Est par lots de 34 à « prix choc » ne changeront malheureusement probablement pas leurs habitudes de consommation. Même pas pour les beaux yeux d'Okja.

Rodreamon
7
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le 12 juil. 2017

Critique lue 211 fois

Cliffhunter ➳

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