S'attaquer à un film de Quentin Tarantino n'est jamais simple tant le bonhomme est généreux dans ce qu'il propose. On y trouve tellement d'éléments qu'il y a souvent besoin de plusieurs visionnages pour tout repérer et éventuellement davantage apprécier ses longs-métrages. Et cela s'applique tout à fait aux cinéphiles confirmés qui auront tôt fait de repérer ses gimmicks habituels et lister ses références. Alors imaginez pour les spectateurs un peu plus "casual" comme moi qui ne seront pas aussi bien armés pour esquisser un semblant d'analyse. Bien que je sois un minimum familier avec l'univers du fétichiste pédicure, avec six films sur neuf à mon actif à l'heure où j'écris ces lignes, tous appréciés à des degrés divers mais souvent avec les mêmes réserves.


Or Once Upon a Time in...Hollywood est un exercice de style qui n'est clairement pas le plus accessible de sa filmographie, tant les allusions et références au cinéma de l'époque pleuvent et peuvent perdre les non initiés. A l'inverse, la violence stylisée décomplexée si caractéristique du cinéaste n'est presque pas présente, alors qu'il s'agit d'une de ses marques de fabrique. De manière générale, il ne facilite pas la tâche des spectateurs qui espéraient savourer un divertissement endiablé. On retrouve là un film très posé, parfois trop tant certaines séquences s'étirent en longueur sans que l'on comprenne trop pourquoi, au point que certains puissent perdre de vue la pertinence du film dans sa globalité et sortir de l'expérience cinématographique.


Une habitude hélas récurrente chez Tarantino et qui reste ma principale réserve avec presque tous ses films : ce rythme irrégulier et peu accommodant aboutissant à un film plus long qu'il ne devrait être. En général, ces scènes rallongées voient surtout ses personnages déblatérer des dialogues certes toujours soignés et énoncés par des acteurs au poil, mais plus d'une fois non essentiels à l'intrigue. On pourrait avoir l'impression d'une certaine prétention, comme si QT était si fier de sa verve qu'il souhaitait placer à tout prix un maximum de texte sans faire de tri. Et placer des références (textuellement ou dans l'image) qui échapperont à beaucoup de toute façon ou agaceront ceux lassés du jeu de la citation.


Ici, les longueurs sont toujours de mise. De façon répétée, la caméra se contente de suivre Cliff Booth sur sa route, Rick Dalton faire son introspection ou Sharon Tate prendre du bon temps. A l'origine, ce ton poseur m'agaçait car je n'en voyais pas l'intérêt, surtout avec les scènes de Booth en voiture se répétant jusqu'à l'usure. Encore une fois Tarantino allonge la sauce pour rien me disais-je. Mais jusqu'alors dans ses films, c'étaient les dialogues qu'on exposait à l'infini. Ici, le silence a repris ses droits, les mots étant plus espacés. Pour une fois, Tarantino se fait moins bavard et caustique pour laisser bien plus de respirations que par le passé. Comme si lui-même avait besoin de lever le pied.


Ainsi, ce qui m'apparaissait comme un défaut (et l'est toujours dans une certaine mesure) devient presque une qualité car cette fois, il n'y a pas de montagnes russes quant aux ruptures de tons. Celles-ci sont certes toujours présentes (un film de Tarantino n'est jamais sérieux ou drôle de bout en bout, c'est acquis) mais il est moins question de rupture que de petits sursauts, nous permettant de nous reposer, de mieux nous questionner sur ce qui nous est montré, et de profiter des nombreuses qualités du film. En premier lieu sa pertinence, non sans prendre les spectateurs à revers quant à une manie spécifique du réalisateur.


En effet, un autre défaut fréquemment adressé au cinéma de Tarantino est son amour de la référence pour la référence. Faute de culture cinématographique solide, cela me passait généralement au dessus mais je reste conscient de cet exercice. Or avec Once upon a time... il finit par aller au bout de sa logique avec un film ayant Hollywood et des faits et personnages réels pour toile de fond (notamment Sharon Tate et la bande de Charles Manson ). Cela rend la référence indispensable pour mieux situer le contexte et crédibiliser l'ensemble tandis que la reproduction est elle moins gratuite, nous permettant de mieux apprécier le rendu final, à plus forte raison quand des acteurs contemporains jouent dans un film "d'époque", ou interagissent avec des figures connues. Mention spéciale à la scène avec Bruce Lee, étonnamment hilarante tout en étant respectueuse du Petit Dragon.


Mais surtout, avec cette toile de fond, le film perd en pep's ce qu'il gagne en profondeur, telle la seconde partie de Kill Bill par rapport à sa première. On a droit à une plongée dans un coin plus secondaire du milieu, avec ses acteurs oubliés et ces hommes de l'ombre (doublures, cascadeurs, chorégraphes, etc...) et on n'hésite pas à mettre l'accent sur plusieurs aspects frustrants voire déprimants du milieu. On a droit à un Rick Dalton névrosé, constamment en doute à cause d'une carrière en perte de vitesse et un Cliff Booth faisant contre mauvaise fortune bon cœur vis-à-vis d'un job ingrat. Ceci en opposition à une Sharon Tate voisine du premier nommé sans qu'elle ne s'en aperçoive et alors en pleine insouciance face à une carrière qui prend de l'ampleur, mais qui reste encore relativement méconnue, ce qu'on ne manque pas de lui rappeler indirectement.


Tout le film baigne dans un certain vague-à-l'âme et amène un propos très juste qui ne se limite pas qu'à l'époque qu'il dépeint. Une mélancolie qui reste jusqu'au bout du film, en dépit d'un dernier tiers retrouvant le punch caractéristique du cinéma de Tarantino et agrémenté d'une tension savamment maintenue via la présence de Sharon Tate, avant de joliment prendre à revers les attentes des spectateurs. Le tout aboutissant à une conclusion positive en apparence mais teintée d'amertume à de multiples niveaux.


Ces éléments très appréciables sont bien entendu associés aux autres qualités traditionnelles d'un bon Tarantino. Le film respire toujours autant la coolitude grâce à sa reconstitution soignée, son ambiance bichonnée avec une bande son top et ses acteurs qui envoient tout. Leonardo DiCaprio est désormais physiquement incapable de se foirer et tient parfaitement un Rick Dalton à deux doigts de l'implosion. Brad Pitt est impeccable et n'a probablement jamais été aussi classe qu'en Cliff Booth. Quant à Margot Robbie, sa candeur et son insouciance sont tout bonnement irrésistibles et la demoiselle n'en est que plus ravissante encore, notamment lors de sa séance de cinéma où elle regarde son propre film avec un plaisir des plus communicatifs.


Bref, alors que je m'attendais à regretter d'aimer un Tarantino avec quelques réserves au lieu de pleinement le savourer, il m'a cette fois fallu bien moins de temps pour mieux l'apprécier. De toute façon, sa maîtrise globale, son plaisir évident et son amour du cinéma débordent trop de la pellicule pour que ses défauts me gâchent l'expérience. Il est certain que Once Upon a Time in Hollywood ne pourra plaire à tout le monde mais en dépit de mon accointance envers les dialogues chiadés, il prouve parfois qu'au cinéma, il "vaut mieux sous-entendre que parler pour ne rien dire"

Masta21
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le 22 août 2019

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