(spoilers)


La mise en scène de Quentin Tarantino est souvent décrite comme celle d’un enfant jouant avec ses jouets. L’image d’un esprit agité, débordant d’imagination, qu’on imagine aisément un peu reclus sur lui-même. Qui imite la manière de faire des grands, ou bien qui s’en inspire, les mélange, y rajoutant un brin de folie sans se soucier du regard des autres. Garder une telle fraicheur, tant d’insouciance une fois adulte n’est pas donné à tout le monde. Et pourtant, les histoires qu’on se créait étant petits n’étaient-elles pas fantastiques ? Confronter ses Cow-boy Playmobil à ses Lego Ninja dans un combat sans pitié augurait-il, déjà, le plaisir de cinéphile d’un Kill Bill où se mélangeaient western et film de kung-fu ? Et si nous retrouvions, chez Tarantino et ses oeuvres, cette innocence de la création que nous portions étant petits ?


Peut-être est-ce déjà un élément de réponse, bien que forcément limité. Tarantino incarne aujourd’hui une certaine liberté de ton et d’expression dans un paysage cinématographique souvent plat, mais également une connaissance et un amour inconditionnels du 7ème art. Une concomitance qu’on retrouve à chaque nouveau film du réalisateur et qui agace, passionne, mais ne laisse en tout cas jamais indifférent.


Once Upon a Time… in Hollywood, c’est l’histoire de Rick Dalton, un comédien de série télé alcoolique, et de Cliff Booth, sa doublure cascade, un duo sur le déclin évoluant au sein de la machine à rêves hollywoodienne, en 1969. La fin d’une époque, puisque la fin des années 60 marque la fin de l’âge d’or des grands studios, et à plus grande échelle l’arrivée de mouvements contestataires. Rick et Cliff vont se retrouver mêlés bien malgré eux à l’affaire Sharon Tate, la femme de Roman Polanski assassinée par des adeptes de la secte de Charles Manson.


C’est donc le premier film de Tarantino partant d’un véritable fait divers. Un rapport à la réalité inédit pour le réalisateur, bien qu’il ait déjà traité de sujets historiques (la seconde guerre mondiale avec Inglorious Basterds et l’esclavage américain avec Django Unchained). Mais nous restons dans une fiction, comme nous le rappelle le titre, ou plus précisément dans un conte (la formule « il était une fois » était d’ailleurs déjà présente dans la filmographie de Tarantino puisqu’elle figurait dans le titre du premier chapitre de Inglorious Basterds). Tarantino va donc se servir de l’affaire et de ce que le public en sait pour construire une intrigue foisonnante, centrée sur un duo de personnages fictifs haut en couleurs. L’affaire Sharon Tate constituera seulement un fil rouge permettant de conserver une intensité dramatique diffuse, tandis que nous suivons le quotidien de Rick et Cliff.


C’est le premier point qu’on pourra reprocher au film. Tarantino ne nous raconte pas l’histoire de l’assassinat de Sharon Tate mais celle de Rick et Cliff. Le rôle de l’actrice dans le film n’est finalement que très secondaire, ses apparitions ne servant qu’à entretenir un suspense morbide. Le personnage n’a pas beaucoup de profondeur et l’interprétation de Margot Robbie s’en ressent. Tarantino se contente de montrer Sharon Tate comme une femme heureuse, souriante, qui profite de la vie. Le spectateur qui connaît sa fin tragique n’en sera que plus troublé par ces scènes. Une ironie dramatique macabre entretenue avec malice par Tarantino jusqu’au grand final : les adeptes de la secte de Charles Manson pénètrent finalement dans la maison de Rick et se font tuer par Cliff, présent ce soir-là. Une scène à la violence tarantinesque, cathartique et vengeresse telles qu’avaient pu l’être la tuerie des nazis dans Inglourious Basterds et le massacre des esclavagistes dans Django. Après l’affrontement, tandis que Cliff se fait emmener à l’hôpital, Rick rencontre alors pour la première fois sa voisine Sharon Tate, qui l’invite chez elle. L’actrice est saine et sauve, et une fois de plus Tarantino s’est joué du spectateur en récrivant l’Histoire. Fin.


Certains se sont insurgés contre ce final à la morale douteuse. Tarantino a répondu avoir le sentiment que l’affaire était désormais passée dans le domaine public. Pourquoi pas. Mettons la question éthique de côté pour nous concentrer sur la narration. Tout d’abord, il est regrettable que le film soit incompréhensible pour un spectateur qui connaît pas l’affaire. Le cinéma de Tarantino est un cinéma de références, certes, mais cela n’avait jamais empêché de s’impliquer pleinement dans l’intrigue. Ici, impossible d’apprécier le jeu narratif de Tarantino si l’on ne connaît pas Sharon Tate et Charles Manson. Once Upon a Time… in Hollywood se veut une fiction, mais sa diégèse ne permet pas au spectateur d’avoir toutes les clés pour comprendre les enjeux narratifs liés au personnage de Sharon.


L’intrigue principale tourne autour de Rick et Cliff et aurait très bien pu se suffire à elle-même. Rick est un acteur de série télé en manque de reconnaissance. Il rêve de cinéma, et de jouer par exemple pour Roman Polanski, son voisin. Alcoolique et sur la pente descendante, la névrose de Rick expose les difficultés d’être un artiste à Hollywood, entre concurrence acharnée et la crainte de devenir un has-been. Leonardo DiCaprio livre ici une composition remarquable, semblable en bien des points à son personnage de Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street.


Son compère Cliff traverse lui aussi une période creuse de sa carrière de doublure cascade, mais pour d’autres raisons : il est devenu persona non grata de l’industrie hollywoodienne car soupçonné d’avoir tué sa femme. Pour compenser ses maigres revenus de cascadeur, Cliff est devenu l’homme à tout faire de Rick. Il n’en garde pas moins un détachement de tous les instants, le cascadeur traversant les épreuves avec une confiance inébranlable, John Wayne style. Le personnage rappelle évidemment la Zöé de Boulevard de la Mort, la redoutable cascadeuse qui règle son compte à Kurt Russel. Brad Pitt semble s’être beaucoup amusé avec ce rôle auquel il insuffle un flegme quasi-comique : rien ne semble pouvoir ébranler Cliff, pas même Bruce Lee (à qui il administre une bonne raclée dans une scène qui se moque gentiment du maître des arts martiaux)


Le duo Cliff/Rick est certainement le point le plus réussi du film, même s’il manque à leur ligne narrative des enjeux assez puissants. Des baisses de tension sont donc à déplorer dans ce film très long (2h41). Les fautes de rythme font partie à part entière de la mise en scène de Tarantino, mais sont habituellement sauvées par des scènes cultes et des dialogues percutants. Once Upon a Time… in Hollywood reste assez avare sur ces points là, peu de scènes sortant véritablement du lot. Bien sûr, toutes les références cinéphiles et autres easter eggs feront plaisir aux puristes, et les brillants numéros d’acteurs réservent des scènes géniales, mais le film donne la sensation que Tarantino semble s’être reposé sur ses acquis sans faire de nouvelle proposition forte de cinéma. Malgré tout, bien que Once Upon a Time… in Hollywood soit moins révolutionnaire que ses aînés et qu’il divisera d’autant plus le public, on ne peut que saluer la capacité de Tarantino de n’en faire qu’à sa tête : il fait les films qu’il a envie de faire, se crée son monde parallèle, et se permet même de faire revivre les morts. Pas mal pour un enfant agité.

Lydra
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le 21 août 2019

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