Comme la plupart des films de Tarantino, Once upon a time... in Hollywood fonctionne sur un entrelacement. L'entrelacement ne consiste pas, comme à son habitude, à désynchroniser la chronologie du récit. La chronologie est ici méticuleusement chronologique, avec pour preuve les dates et les heures affichées ici et là à l'écran. Ici Tarantino s’attelle à entremêler la réalité, la part fictive de l'histoire et des films/séries (fictions dans la fiction) de sorte que ce nouveau genre "d'entrelacement tarantinien", beaucoup moins perceptible et touchant à la quasi-virtuosité, provoque une émotion en profondeur qui travaille le spectateur préparé (il faut peut être un certain recul sur le cinéma pour saisir un tant soit peu la richesse du film). En revanche aucun prérequis n'est nécessaire pour rigoler : ce film est terriblement drôle.


Tarantino placera souvent sa caméra en hauteur, en plongée, pour filmer tout son petit monde. Il veut alors figurer son regard sur l'histoire qu'il nous raconte : celui d'un géant sur une ville maquette habitée de petits personnages. D'un nostalgique jouant "grandeur nature", ou plutôt "grandeur studio" et nous demandant de nous laisser porter par ce qu'il va nous raconter. Parmi ces personnages les stars de l'époque abondent et les rues sont admirablement réanimées par le ballet des voitures des sixties et les enseignes lumineuses. La reconstitution physique d'une époque, avec des décors en dur, est probablement l'une des dernières que le cinéma moderne offrira. Cette orfèvrerie, jusque dans les costumes et accessoires, donne au film un aspect "tranche de vie" tout à fait plaisant et authentique.


Cependant Tarantino ne s'arrête pas à une maquette minutieuse puisqu'il y instille la fiction à travers les deux "buddies" joués par Dicaprio et Pitt. Deux acteurs sans pareille, Dicaprio laisse s'étoffer toute la sensibilité de son personnage, un acteur bégayant dans sa chute, Pitt, quant à lui, est le copain qu'on aimerait tous avoir. Sur leur amitié, une séquence en début et une autre en fin de film se répondent et illustrent le lien finalement indéfectible entre les deux personnages. Pour être encore plus copain, ils auraient dû se marier comme le suggère une voix off. Et il y a Brandy, une staffordshire terrier offrant des séquences désopilantes avec Cliff Booth (Pitt). Bref, réalité et fiction se mèlent dans un jeu de séduction des images qui trouve son point de départ dans le running gag de Cliff Booth tombant plusieurs fois dans la même journée sur Pussycat (Margaret Qualley), une hippie de la Manson family faisant du stop. Il finira par la laisser monter dans la voiture de Rick ce qui scellera le lien des personnages de Tarantino avec la réalité puisque Pussycat le mènera au ranch Spahn. Durant ce trajet jusqu'au Spahn Ranch Cliff Booth prendra une bretelle d'autoroute et on verra la voiture s'éloigner à travers un grillage qui s'immiscera dans le travelling (entrée dans un territoire fictionnel interdit au réel...). Une longue séquence au Spahn Ranche qui permettra aux personnages réels et au personnage imaginaire de Pitt de se jauger. Le lien avec le réel n'était qu'indirect jusque là, se résumant à un Rick Dalton (Dicaprio) s'étonnant de n'avoir jamais aperçu ses voisins de porte qui sont Tate et Polanski. Tout cet aplat de fiction s'infiltrera lentement dans la réalité, dans une tension diffuse mais présente, en faisant entrer en opposition les images du film. Par exemple Sharon Tate aura deux visages, le sien et celui de la Sharon Tate jouée par Margot Robbie. Robbie devra composer à part, de son côté, durant quasiment tout le film. Mais ce n'est pas un personnage oublié ni inutile. D'une part elle rappelle constamment la convergence vers le tragique du réel, participant de la tension sous-jacente, et d'autre part elle participe de l'hommage que rend Tarantino au cinéma et en particulier à la réception des films par les spectateurs. Tarantino parle alors de la transmission des films, de leur plaisir provoqué chez le spectateur et surtout de l'envie qu'ils leurs plaisent laissant ainsi de côté toute complaisance d'un réalisateur qui ferait des films pour lui-même.


L'opposition ne se joue pas qu'entre réalité et fiction. Elle se joue aussi dans la fiction elle-même à travers d'une part Rick Dalton qui fait la transition sans coupure entre lui-même et les personnages qu'il joue. S'immisce aussi le thème du souvenir à travers notamment Cliff Booth, ce dernier étant illustré par un certain combat entre deux personnages nourrissant une petite déclaration à l'art de la cascade (cette séquence verra d'ailleurs surgir une Zoé Bell en furie). Ainsi qu'une escapade en bateau avec son ex-femme. Avec le souvenir, l'imaginaire et assurément la nostalgie il y a là un film avec des thématiques imposantes rappelant un certain "Silence" de Martin Scorsese en ce que ces deux films sont sûrement pour leurs auteurs leurs oeuvres les plus personnelles (pour peu que dire "oeuvre personnelle" ait un sens pour des cinéastes ayant une telle maîtrise et donc une telle liberté sur leurs oeuvres et leur art, toutes celles-ci leurs sont donc personnelles in fine).


Entremêler la réalité, son histoire autour de Cliff et Rick, et "la fiction dans la fiction" est ambitieux d'un point de vue du cheminement à suivre pour accomplir cet entrelacement mais Tarantino y parvient et cela tient du miracle cinématographique. Il mêle aussi à cela un hommage évident à l'industrie du cinéma qui l'a vu/fait "grandir". Des films aux séries stéréotypées en passant par les acteurs, cascadeurs, les producteurs, accessoiristes etc etc. C'est une lapalissade mais Tarantino aime complétement le cinéma. Cependant la vague émotionnelle soulevée par le film n'aurait peut-être pas fonctionné sans une fin la brisant sur les rivages de notre hubris. Avec cette fin, qui ne doit pas être gâchée, Tarantino réalise


ce que toutes les images du film préparaient depuis le début, à savoir une vengeance de la fiction sur la réalité, un Kill Bill devenu Kill Reality (la réalité devenant en quelque sorte le grand méchant du film), un élan cinématographique jouissif nécessitant que la fiction se souvienne du réel (Booth se souviendra de Tex rencontré au Spahn Ranch). Le film redevient alors "tarantinien" le temps d'une série d'évènements totalement fous qui marquent un dérèglement du réel où Tarantino insère un peu de sa pellicule en 35mm à la place de de la nuit tragique d'août 1969 comme pour panser les plaies d'une époque disparue.
Cette confrontation finit aussi de consacrer Cliff Booth comme véritable cascadeur/doublure émotionnel(le) de Rick Dalton. En effet celui-ci sera blessé à la hanche là où Rick Dalton s'identifiait plus tôt dans le film, dans une séquence importante et emplie d'émotions, au personnage d'un livre souffrant lui aussi d'une blessure à la hanche après une chute.


En figurant l'impact de la fiction sur une réalité qui ne pourra malheureusement pas être changée car passée, Tarantino rend hommage à ce pouvoir du cinéma qui provoque malgré tout ces petits changements, ces vibrations intérieures, que l'on ressent en nous au sortir d'une séance de cinéma qui nous aura laissés une trace indélébile dans les rétines et dans le coeur.

-Thomas-
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le 14 août 2019

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Vagabond

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