Dans Pulp fiction, film de pure fiction ne laissant de place au réel et encore moins à l’uchronie, Tarantino expérimentait la possibilité de faire revivre un personnage par la seule grâce du montage. Vincent Vega mourait brutalement sur les chiottes de Butch Coolidge mais la non-linéarité du film lui permettait de revenir dans le dernier tiers au sein duquel, forcément, il ne pouvait plus mourir puisque l’on savait quand son heure viendrait. Une scène en particulier jouait de ce tour de magie en reprenant la suite de celle du cheeseburger, quand Jules Winnfield entonnait un passage de la bible sur « La marche des vertueux ». En effet, un quatrième type, dont on ne soupçonnait pas qu’il soit caché depuis le début dans la pièce d’à côté, déboulait, leur vidait son chargeur dessus mais sans les atteindre. Ce « miracle » que Jules ne cessera de répéter comme mantra pour jeter l’éponge, c’est aussi celui du cinéma, des velléités du hors-champ, de la diversification des points de vue, surtout des puissances du montage. Le film de se terminer là où il avait commencé, dans ce café-restaurant, un épilogue qui poursuit la scène introductive, mais d’un autre point de vue, celui de Jules & Vincent, assis à la table d’à côté, un peu comme le quatrième homme de l’appartement à la mallette.


 Dans Once upon a time in… Hollywood, une séquence qui restera d’ores et déjà comme l’une des plus gracieuses du cinéma de Tarantino, suit Sharon Tate, prenant en stop une hippie, avant d’entrer chez un libraire afin de commander Tess d’Uberville pour son mari, avant d’entrer dans le Fox Bruin Theater où elle assistera à une séance de The wrecking crew, film dans lequel elle partage l’affiche avec Dean Martin. C’est Margot Robbie qui incarne Sharon Tate dans le film, mais c’est bien la vraie Sharon Tate que l’on voit sur l’écran, qui projette les vraies images du film de Phil Karlson. Là aussi, comme dans Pulp fiction, c’est le cinéma qui fait des miracles, qui se permet en l’occurrence de faire chevaucher le réel et la fiction : Si Tate avait rencontré ses bourreaux une première fois, offert à Polanski l’inspiration d’un de ses chefs d’œuvre et avait assisté à l’une de ses prestations incognito, alors ne serait-il pas possible d’aller plus loin encore ? De changer le cours de l’histoire, par exemple ? De faire que la fiction règle son compte à la réalité, par exemple, comme le montage réglait son compte à la fatalité dans Pulp fiction ? Tarantino achève d’en faire une séquence troublante en plus, en la dilatant complètement par son découpage : Entre le moment où Tate entre dans le cinéma et celui où elle en sort, il se passe peut-être une heure de film. Si cette dilatation est le propre du cinéma de Tarantino, comme on a pu le voir notamment avec Pulp fiction, l’étrangeté ici vient de la totale linéarité et de son extrême douceur. C’est que le film en garde sous le pied avant de plonger dans la journée du 9 août.
Mais avant de verser dans l’uchronie réparatrice – Ce que Tarantino a déjà un peu fait dans Django unchained et Inglourious basterds – ce film, son neuvième (Si l’on considère que les deux Kill Bill n’en forment qu’un seul) propose de suivre trois trajectoires distinctes. Celle de Rick Dalton, un acteur de seconde zone, comédien en proie aux doutes, à la boisson, aux oublis de texte, obligé de troquer ses petits rôles de cinéma pour ceux de la télévision (« It’s official, old buddy. I’m a has-been » se lamente-t-il à Cliff, en sortant de chez son agent) alors en plein essor : Ce jour-là il tourne dans le pilot d’une série de western mais entre deux prises se plonge dans un bouquin qui le bouleverse sur le récit mélancolique de la chute d’un cowboy. Celle de Cliff Booth, comédien raté reconverti dans la doublure cascade, qui dépose Rick aux studios, le récupère, répare son antenne télé et qui le soir retrouve Brandy, son staffordshire terrier, dans une caravane en bordure de drive’in. Le tout en observant les virées à Westwood ainsi qu’au manoir Playboy bref l’errance tranquille de la voisine de Dalton sur Cielo drive, femme de l’un des grands noms du Nouvel Hollywood, blonde pétillante et insouciante qui n’est autre que Sharon Tate. On est en 1969, ça le film nous le renseigne rapidement donc nous faisons vite le lien : Si c’est un Hollywood à deux vitesses, avec ses stars montantes et celles qui déclinent, il est aussi question d’un bouleversement plus frontal, plus cruel, qui touche autant le cinéma que le mouvement hippie (mais pas seulement : c’est une année absolument charnière) que viendra ici symboliser la présence d’abord fantomatique mais inquiétante dans la longue première partie puis fulgurante dans la courte seconde, de la « famille » Manson.
Il faut d’abord saluer l’incroyable reconstitution que Tarantino dresse de ce Hollywood de 1969. Qu’on écume les plateaux de tournage, les boulevards de L.A. ou le quartier résidentiel de Cielo drive, qu’importe on a la sensation d’y être. La sensation, douce mais troublante, d’avoir glissé dans ce lieu, dans cette époque. Ce génie de la reconstitution passe inévitablement par un compromis : Il faut pour Tarantino épurer ses tendances fétichistes – On y verra pourtant les pieds de Margaret Qualley et ceux de Margot Robbie, au premier plan, écrasés sous le rétroviseur d’un pare-brise ou posés sur l’appui-tête d’un fauteuil de cinéma. On le refait pas, notre Quentin – et colmater ses brèches absurdes afin de dresser un portrait réaliste dans lequel la fiction (Cliff & Rick) qui s’invite dans le réel (Tate) se doit de nous faire croire qu’elle devient réelle. Ce compromis passe avant tout par une dissonance dans l’utilisation musicale. Il n’y a plus de grandes séquences bercées par telle ou telle chanson, à l’image de Son of a preacher man, de Dusty Springsfield ou Lonesome town, de Ricky Nelson – Tarantino ne fera jamais si fort que Pulp Fiction sur ce point, c’est impossible – puisqu’ici les radios crachent des morceaux de chansons en permanence. Contrairement à ses films précédents, il est très délicat, si l’on prend tel ou tel morceau utilisé, de l’associer à une scène en particulier, tant d’une part ils foisonnent et tant d’autre part ils ne génèrent pas un simili-clip ni une sorte d’accompagnement parfait, comme c’était jadis le cas à maintes reprises, mais citons au pif la scène de l’oreille sous Stuck in the Middle with you, de Steelers Wheel, dans Reservoir dogs ou bien celle du lap dance, sous Down in Mexico, de The Coasters, dans Boulevard de la mort. Quelque chose a changé, dans Once upon a time in…Hollywood, indéniablement. Mais c’est aussi le budget colossal (C’est le film le plus cher de Tarantino, après Django unchained) qui participe de cette orfèvrerie de la reconstitution. Voitures de luxe, enseignes lumineuses, studios de cinéma, drive’in, devantures diverses, soirées festives, costumes variés, tout respire 1969 et tout aspire à nous faire croire que nous y sommes.
Afin de donner de l’épaisseur, de la vie à cet univers, le film nous convie dans le passé de ses trois personnages, Sharon, Cliff et Rick, de trois manières complètement différentes. Rick par les fictions dans lesquelles il a jouées, puisqu’il s’agit de voir certains passages de séries télévisées (Bounty law, The FBI) ainsi que des publicités dans lesquelles il campe le premier rôle. Sharon en allant se voir, dans The wrecking crew, film dans lequel elle tourna en 1968 mais aussi en se remémorant ses entrainements avec Bruce Lee dans le jardin, en bord de piscine. Et Cliff dans un souvenir raconté par le prisme d’un long flash-back, nous permettant de comprendre pourquoi l’ensemble ou presque de la profession ne veut plus de lui : Un passé trouble, laissant planer à son sujet une rumeur peu glorieuse, ainsi qu’une altercation avec le même Bruce Lee. En soi, cette structure est déjà absolument brillante puisqu’elle se tient dans le récit de ces vingt-quatre heures couvrant les 8 & 9 février 1969 (en deux heures de film) et se permet de mélanger le réel et la fiction, le passé et le présent, avec un sens aigu du détail (les plongées dans l’univers du cinéma et de la télévision avec Rick, les traversées de LA dans les voitures de Cliff & Sharon), de l’émotion (Voir Margot Robbie qui incarne Sharon Tate regarder la vraie Sharon Tate, c’est magnifique, mais quasi autant de voir Rick discuter avec Trudi Fraser, la petite fille qui lui donne la réplique mais qui va surtout lui redonner confiance en lui) de l’humour (Cliff s’en va dérouiller Bruce Lee) et de l’angoisse (il va aussi rendre visite à un vieux pote de tournage au Spahn Ranch) à nous faire tellement planer dans une dimension parallèle qu’on en oublie qu’il peut aussi plonger dans un fait plus douloureux, soit celui des crimes de Cielo drive six mois pile plus tard. C’est aussi ce culot qui fait la surprise du film : Son étrange gestion de la temporalité le pousse à dérouler la majeure partie de son intrigue six mois avant les faits sur lesquels il pourrait moins subtilement s’appuyer. Dans Pulp fiction il y avait déjà un énorme trou d’air mais étant donné qu’il n’y avait pas de dates ni de fait réel rattaché, on s’en rendait beaucoup moins compte. Là tout est tellement dilaté qu’on finit par croire que le film ne se déroulera pas durant les faits du mois d’août tant redouté. Et le coup de l’ellipse relance la machine, fait naître une nouvelle angoisse et occupe un autre terrain, le crescendo vers le carnage, l’omniprésence de la voix off, un terrain que Tarantino maîtrise totalement, qu’on a beaucoup vu chez lui ce qui ne l’empêche pas de parvenir à déjouer toutes les attentes. Plus j’y pense, plus cette construction, moins ouvertement virtuose que certains de ses films, me fascine : Les chapitres (chers à Tarantino) ont disparu au profit de deux blocs se répondant à merveille.
L’un des plus beaux moments du film voit Cliff Booth souhaiter bonne nuit à Rick Dalton – alors en pleine répétition de son rôle du lendemain – puis monter dans sa caisse et rentrer jusque chez lui, une caravane miteuse qui donne sur un écran de drive’in. On ne s’immisce pas à son réveil comme dans Le privé, de Robert Altman mais on pense à Eliott Gould et son chat, en voyant Cliff et Brandy, sa chienne. Il y est aussi question de pâtée en boite et on sent qu’il ne faut pas lui faire à l’envers non plus, à Brandy, même si elle est beaucoup plus docile et efficace que le chat roux de Philip Marlowe : Si l’un abandonnera sa bouffe pour régler son compte aux couilles d’un hippie dégénéré, l’autre plus susceptible devant sa pâtée de seconde qualité préfère disparaître (à tout jamais ?) par la chatière. Mais peut-être qu’ils sont en fin de compte le reflet de leurs maîtres : Par deux fois, Cliff dira qu’il essaie d’être un bon pote. Et quand bien même, si le film laisse trainer un étrange mystère quant à l’éventualité qu’il ait tué sa femme, ce qui est sans équivoque c’est le dévouement total de Cliff pour Rick. C’est d’ailleurs Cliff qui sortira blessé du carnage final et Rick qui sera indemne. Logique étant donné qu’il est sa doublure cascade, en plus d’essayer d’être un bon copain. Cliff Booth, le bon copain qu’on rêve tous d’avoir.
On a beaucoup dit que Sharon Tate était moins mise en avant que Cliff Booth & Rick Dalton, voire qu’elle était réduite à être l’écervelée sans texte, à tout miser sur sa plastique et son sourire. Je ne suis pas du tout d’accord. Tout d’abord elle est sublime, semble glisser dans le film et sur le récit, une sorte de grâce fragile, de fantôme de la liberté (les entrainements avec Bruce Lee afin de gérer sa séquence de combat au cinéma, sont de purs moments de grâce suspendue, qui par ailleurs vengent le portrait volontairement grossier (car dans le souvenir, probablement déformé de Cliff) qui était fait de lui un peu plus tôt) bref de star montante incarnant un mélange de rêve américain et de flower power, filmée comme un ange. Mais un ange duquel transparaît l’accablante tristesse qui la renvoie aux évènements que tout le monde connaît, espoir déchu dont on sait contrairement aux deux autres personnages qu’elle n’est pas fictive et que sa destinée tragique est imminente. C’est à la fois terrible, doux et lumineux, comme portrait. Mais surtout, Margot Robbie ne peut pas jouer un personnage « à la sauce tarantinienne » (quel mauvais goût c’eut été) voilà pourquoi Tate a peu de lignes de dialogues, puisqu’elle incarne le réel, donc à la fois le tragique et l’hommage. Au contraire, ce contrepoint avec les personnages de Booth & Dalton est fondamental à mes yeux. Et en cela j’y vois un écho de plus à Pulp fiction, dans lequel on suivait les trajectoires croisées de Vincent Vega, Mia Wallace et Butch Coolidge, avec chacun son instant de lose et de sublime dans son CV. A l’époque, déjà, on y traversait Los Angeles. A l’époque, déjà, on assistait à des miracles : La piqûre d’adrénaline, les balles « arrêtées par une intervention divine » ou le sauvetage in extremis d’un couple de paumés. Quelque part là aussi, la fiction au sens la magie, faisait irruption dans la réalité.
Et c’est de cela dont il s’agit ici. De cette plus-value qui fait qu’il sera peut-être mon Tarantino préféré avec le temps : Une vengeance de la fiction sur la réalité. Et ça se joue sur un entrelacement. Parfois avec beaucoup de légèreté, quand le corps de Leonardo DiCaprio est incrusté à la place de celui de Steve McQueen, dans une séquence de La grande évasion, lorsque Rick raconte qu’il est passé à un Steve et trois Georges (Peppard, Maharis et Chakiris) d’avoir le rôle. Parfois c’est un remous évanescent : Il y a quelque chose de troublant de voir Maya Thurman Hawke, la fille d’Uma Thurman autrement dit celle de Beatrix Kiddo, refuser in extremis de faire parti du convoi meurtrier orchestré par la Manson family. Comme un écho aux volontés de « sa mère » de ne plus poursuivre sa collaboration avec Les vipères assassines, en somme. Là aussi c’est la fiction naïve (Linda Kasabian a bien existé mais elle n’a pas filé, elle est resté dehors) qui s’immisce dans la folie du réel (Susan Atkins, Patricia Krenwinkel & Charles Watson ont sauvagement assassiné Sharon Tate et ses amis) pour le pervertir, le perturber. Sa fuite aurait-elle précipité le fait que ses acolytes se trompent de maison, dans la réalité parallèle orchestrée par le film ? Si un peu plus tôt, en observant de loin l’arrivée de ses voisins, Dalton avouait à Cliff qu’il les croisait pour la première fois, c’était déjà un jeu pour enfoncer le clou d’une frontière entre le réel et la fiction. C’est Cliff qui le premier fera l’expérience de briser cette frontière, d’abord de façon relativement brève, anodine (et sexy) mais non moins essentielle, en voyant Tate danser chez elle, à travers une fenêtre, puis dans le souvenir de son tournage avec Bruce Lee, ainsi que dans son furtif échange de regard avec Charles Manson, himself, probablement venu chercher Terry Melcher, le fameux producteur ; puis de manière plus frontale en acceptant de faire monter Pussycat (merveilleuse Margaret Qualley, qu’on adore dans The leftovers) dans sa voiture, jusqu’au Spahn Ranch de la Manson family, où Cliff compte bien revoir Georges Spahn, son vieil ami, propriétaire de cet ancien studio de cinéma, qui entre autre abrita le tournage de Duel au soleil, de King Vidor.
Quoiqu’il en soit, quel plaisir intense de voir déambuler ces trois personnages à tel point que plus rien d’autre ne compte, ça pourrait des heures, comme ça : Je veux aller au cinéma avec Sharon Tate, me faire des virées en bagnole avec Cliff Booth, assister aux tournages de Rick Dalton. Et que la nuit ne vienne jamais entraver ce bonheur simple. Mais pour être tout à fait honnête, si les deux heures de déambulation (il s’y passe à la fois tout et absolument rien) de la première partie m‘ont semblé d’emblée absolument parfaites, j’ai eu quelques réserves, lors de mon premier visionnage à propos de la (violence de la) fin. Je ne savais pas trop quel sort on pouvait infliger à Manson et les meurtriers qu’il a envoyés, tout en respectant Tate & Polanski, mais j’avais l’impression de vouloir quelque chose qui soit davantage dans le tempo du film, une sorte de fausse fin où on attend un évènement qui ne vient pas, une violence qui s’évapore ou qui fait pschitt, comme c’est le cas pendant tout le film : à l’image de la scène au Spahn ranch, bordel mais quel génie. Mais in fine, cette violence est nécessaire ne serait-ce que pour ne pas oublier que le carnage est emblématique chez Tarantino, pour la revanche absurde qu’elle génère, pour l’utilisation du lance-flamme en clin d’œil à la série dans laquelle jouait Dalton qui déjà faisait clin d’œil à Inglourious basterds, mais aussi pour permettre à Cliff de briller dans l’ombre – comme tout cascadeur qui se respecte – et faire que Rick Dalton rencontre Jay Sebring devant un portail, puis fasse connaissance avec Sharon Tate en l’accompagnant, pourquoi pas, jusqu’à une aube meilleure. Que la fiction brise la barrière du réel.
La mélancolie qui traverse le film vient beaucoup du contexte de cette époque, à la fois parce que le récit se déroule pendant l’enfance de son auteur, mais aussi entre la fin de l’âge d’or et l’entrée dans le Nouvel Hollywood. Le western se meurt au cinéma, c’est la télévision qui le récupère. Le mouvement hippie fait irruption sur le grand écran (Rick Dalton ira jusqu’à appeler ceux de Manson « Dennis Hopper » sans doute venait-il de voir Easy rider, sorti en juillet 1969) tandis que nos deux compères font partie de l’ancien Hollywood et sont d’ailleurs sur le point de mettre fin à leur collaboration. C’est la fin d’une ère, pour eux, pour tous. Pour Sharon Tate aussi, sans doute. On ne saura jamais ce qu’elle aurait pu devenir au cinéma mais le monde change tellement qu’elle aurait très bien pu décliner en tant que star comme Rick Dalton échoua dans le western spaghetti. C’est le rôle de ce plan de bascule final somptueux (au-dessus des maisons) qui suit cette sublime discussion par l’interphone : On entre dans le fantasme ou plutôt Rick apporte la fiction dans le réel, afin que Sharon Tate (sur)vive dans le fantasme.
N’oublions pas que l’objectif s’élève à plusieurs reprises dans le film comme pour marquer une scission entre le rêve et la réalité, mettre une frontière ou au contraire briser cette frontière. Lorsque l’on quitte le jardin de Dalton pour rejoindre le pas de porte de Tate & Polanski, il s’agit de quitter le personnage de fiction pour suivre ceux du réel. Lorsque nous suivons le retour de Cliff chez lui dans sa Volkswagen Karmann Ghia 1967 (Il faut rappeler que Beatrix Kiddo conduisait le modèle de 1973 dans Kill Bill), la caméra le quitte un instant pour s’élever et passer au-dessus de l’écran de drive’in à côté duquel il vit. C’est un plan à la Sergio Léone dans Il était une fois dans l’Ouest, quand Claudia Cardinale arrive à la gare. Si c’était un moyen de la faire entrer dans le film, il s’agit là aussi d’entrer dans la réalité de Cliff Booth, loin des (miettes de) paillettes de l’univers de Rick Dalton. Et bien entendu il y a le plus important : Le dernier plan du film, puisqu’il fait rejoindre les deux mondes, il ne casse plus, il réunit. Le portail du château qui s’ouvre, l’objectif qui prend son envol, oui, il s’agit bien d’un conte. Once upon a time, nous étions prévenus. On s’attendait à voir Tate mourir comme en vrai, mais c’est Rick qui finalement la « sauve » puis s’apprête à faire connaissance avec elle, lui l’acteur has been, vestige de l’âge d’or, rencontre l’élan de jeunesse et du Nouvel Hollywood.
Once upon a time in… Hollywood diffère dans la filmographie de Tarantino en ce sens d’une part qu’il est son premier film sur le cinéma, fondamentalement parlant, un grand film sur un Los Angeles fantasmé avec ce que ce fantasme génère de souvenirs d’enfance – Tarantino avait six ans en 1969. Tarantino a toujours fait des déclarations d’amour au cinéma, mais là c’est sa plus belle et de loin. Et d’autre part qu’il émeut et hante comme aucun de ses films (parfois même géniaux) n’avait su le faire. En somme, Eightful eight avait ouvert la voie, l’impact était moindre en apparence, en réalité il fallait y songer, le revoir et en apprécier pleinement ses mystères et ses creux. Once upon a time in… Hollywood ne gagne donc pas tellement sur son immédiateté ni sur son pouvoir de jubilation, c’est sa mélancolie qui emporte le morceau, une gravité qu’on ne lui connaissait pas, et cette façon si puissante, si douce, aussi surprenante que logique, si l’on connaît Tarantino, de dire que le cinéma est plus fort que la vie, que Cliff Booth peut mettre Bruce Lee au tapis, que le jeu de Rick Dalton peut époustoufler une petite fille, que Sharon Tate peut être sauvée. Le titre du film n’est pas sans rappeler Sergio Léone, par ailleurs. Dans l’ouest, en Amérique ou à Hollywood, c’est l’image du conte qui l’emporte. Un somptueux conte de cinéma.
Si j’avais le temps, j’y retournerais encore. En gros, c’est à mes yeux le plus beau film de son auteur, la plus belle sortie depuis Mektoub, my love, bref c’est le film de l’année.
JanosValuska
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le 30 oct. 2019

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