Pas mal d'avis divergents sur celui-ci parmi mes amis !
Si j'ai bien aimé, je pense que la réception dépend aussi de la familiarité qu'on a avec l'âge d'or d'Hollywood, le meurtre de Tate, et ce que tout ça représente pour la société américaine. Mes quelques collègues américains et cinéphiles, qui ont donc grandi avec cet Hollywood là - et a fortiori les plus âgés, qui ont vraiment vécu dans l'echo du meurtre de Tate - ont vraiment été touchés en plein coeur. Moi un peu moins, car je n'ai connu cet Hollywood et cet évènement qu'après coup, et j'en ai une vision assez distante. Mais ça a quand même marché. À l'inverse, un de mes amis Taïwanais qui ne connaissait pas l'histoire de Manson / Tate - ni vraiment ce que ça symbolise pour les Américains, et pas bien davantage l'âge d'or d'Hollywood - est resté complètement interdit.
Ne s'agit-il alors que de nostalgie ? Il me semble que non. On est plutôt dans un film "high concept", comme ils disent, qui utilise un référent culturel bien particulier - un vrai marqueur pour la société américaine et Hollywood. Régulièrement encore, les médias US reviennent sur ce meurtre comme nous on revient sur l'affaire Dreyfus. Et Marilyn Manson a choisi son nom de scène en hommage à deux gigantesques symboles culturels de l'entertainment dans tous ses excès : Monroe et le meurtrier de Tate...
Sans une connaissance suffisante de cet évènement, forcément, ça tombe à plat. Vu de France (et a fortiori pour notre génération), le massacre de Sharon Tate c'est un fait divers. Pour les ricains et le monde de l'entertainment, c'est un symbole beaucoup plus fort. C'est un dur retour à la réalité après une période d'innocence post WW2, alors que le conflit au Vietnam s'enlise. C'est le moment où on se rend de plus en plus compte que le monde des stars et des paillettes n'est pas si joli, et a sa face sombre. C'est l'après Summer of Love. Là où avant on voyait surtout de gentils beatniks et des hippies flemmards parmi les consommateurs de stupéfiants, on commence à s'inquiéter des toxicos prêts à tout pour un fix, des gourous qui abusent sexuellement des jeunes gens etc. Nixon est déjà en place, le Watergate suivra bientôt. Fini l'insouciance.
Le film s'amuse beaucoup à prendre tout ça à rebrousse poil, en dessinant le chemin vers une réalité alternative où attentes et symboles sont subvertis. Le personnage de Brad Pitt pour moi en est le meilleur exemple. Vu son rôle, ses signes extérieurs de machisme, les rumeurs sur le décès de sa femme... on s'attend à ce qu'il se la tappe, cette petite autostoppeuse. En plus ça semble bien dans l'époque, où on s'emmerdait un peu moins des détournements de mineurs (quoique Polanski dirait peut-être le contraire, justement). Et puis tout le monde (et surtout l'ex producteur de Tarantino, hein Harvey) sait qu'à Hollywood, il faut coucher pour réussir, non ? Et bien non. Contre toute attente, Cliff repousse les avances de la jeune-fille et se montre assez classieux. Ce qui est franchement inattendu vu le contexte - et rafraichissant. Pareil pour le perso de DiCaprio - qui est un étonnant babtou fragile vu son rôle et son statut. Et il en va de même de certaines scènes qui se jouent des codes hollywoodiens - comme par exemple le ranch, où effectivement, le mec dort bien - circulez, rien à voir !
Bref, pour qui a été suffisamment bercé / exposé aux films de cette époque (mais aussi à la culture toxique qui se cachait derrière), c'est assez amusant de voir Tarantino jouer avec les codes, les trucs qu'on a en tête sur la triste réalité d'Hollywood... pour au final créer un scénario révisionniste où l'âge d'or d'Hollywood ne s'arrête pas, les apparences n'ont jamais été trompeuses, et Sharon Tate ne meurt pas. Tout ça après qu'Hollywood et la société américaine ont juste connu un autre dur retour à la réalité avec Weinstein et #metoo - ce qui n'est à mon avis absolument pas un hasard, mais bien un moyen pour Tarantino de "processer" tout ça. Au final, ce que Tarantino met en scène ici, c'est le monde de l'entertainment tel que lui et des millions d'américains rêvaient candidement qu'il soit, avant d'être ramené à la triste réalité par tel ou tel évènement...
Après, c'est pas sans défaut. Le personnage de Bruce Lee, en particulier, n'a pas le droit au même traitement. Au lieu de se jouer des clichés et des attentes, Tarantino fonce en plein dedans avec lui ( = le faire crier tout le temps, alors qu'il le faisait uniquement pour les besoins des films et pas dans son dojo, sans chercher à jouer avec cette représentation collective, assez raciste). Et la grande limitation du film - de par son concept - c'est que c'est un truc fatalement assez nombriliste, qui tourne énormément autour de l'imaginaire et de l'inconscient collectif US. Ce qui le ferme à beaucoup d'autres cultures / sensibilités.