Quelques heures après être sortie de la salle, je suis étonné du nombre d'avis qui stipulent que ce "nouveau Tarantino" n'a pas "d'enjeu" véritable.


Ça peut se comprendre, mais je me pose la question :


Le spectateur soi disant "averti" est il à ce point conditionné par la médiocrité scénaristique de ce qu'on lui sert depuis une dizaine d'années qu'il n'a plus les outils pour apprécier autre chose ? Même de la part de son chouchou, maitre de la coolitude qu'est Tarantino ?


Parce que ça devient une marotte depuis 10 ans. Les avis se font d'une punchline éclair et on a droit à des :
"Gravity n'a pas de scénario" ; "Fury Road n'est qu'une course poursuite de 2h" et maintenant "Il ne se passe pas grand chose dans le nouveau Tarantino"...


Pourtant, dès les 15/30 premières minutes de Once Upon A Time In Hollywood les fameux "enjeux" sont tranquillement exposés par notre conteur :


1 - Nous allons suivre comment un acteur sur le déclin, Rick Dalton, va dealer avec sa dépression pour oui ou non remonter la pente en traversant plusieurs obstacles qui "challengeront" son égo mis en miette dès la première scène par le personnage d'Al Pacino.


Rick suivra alors une structure de quête classique dans le registre de l'intime où son seul ennemi est lui mème. Son graal, son élixir, il l'obtiendra que quand il aura appris qu'il doit devenir avant tout le héros de sa propre existence.


2 - Cliff Booth, son cascadeur, son sidekick, son bro', va lui être le véhicule (le terme n'est pas anodin) d'une errance métaphysique aux accents de western citadin et crépusculaire où réalité/fiction/fantasme vont se confondre autour de lui.


Cliff Booth est aussi ce personnage en creux, terriblement intriguant, qui se confronte entre les lignes à la question du nihilisme...


Avec ce cascadeur, Tarantino fait aussi son film portrait. Un portrait laconique des métiers de l'ombre (et peut être en perdition aujourd'hui avec les CGI), comme celui plus conceptuel qui part du postulat, peut être nerd, de "Que fait il de sa vie, le sidekick badass du héros quand il ne botte pas des culs ?".


En cela la bagarre avec Bruce Lee fait notamment office de miroir.
En effet, comme il est plusieurs fois mentionné, nous sommes en pleine période Green Hornet. Série, où le jeune (et arrogant) petit dragon, jouant les sidekick du héros principal, phagocytera au final l'aura du show . Une trajectoire que Cliff Booth, qui a une vrai ADN de héros à l'ancienne, se refusera pour laisser Rick Dalton briller de mille feux en priorité (littéralement).


3 - Et enfin, l'évocation sous forme de chronique, par le prisme de Sharon Tate, d'une époque révolue.
Si il y a un enjeu ici, il est évidemment relié aux évènements réels la concernant.
En cela Tarantino fait confiance à la culture de son spectateur pour jouer en même temps de la chronique, des codes du film à suspense. En d'autre termes, comme nous sommes sensé connaitre l'issu de cette histoire dans la réalité, il joue alors avec nos nerfs en dilatant excessivement ses scènes pour mieux nous surprendre.


Malheureusement, tout le monde ne connait peut être pas ce fait divers entourant Manson et sa "famille" et donc peut passer à côté de la catharsis finale sous LSD aussi jouissive que déchirante dans le message que son auteur nous transmet sur sa vision du cinéma. En même temps, cela engagera peut être le spectateur à s'instruire et faire les liens. (Personnellement le cinéma m'a indirectement fait accéder à des savoirs dont je n'aurais pas eu idée de découvrir par moi même quand j'étais plus jeune.)


Et voilà. 15/30 minutes. Et à partir de ces trois personnages, Tarantino nous embarque alors dans sa bagnole et nous promet comme toujours qu'il fera tout pour nous en mettre plein les mirettes.


Je le dis souvent quand je sors d'un Tarantino : il nous donne explicitement un "contrat" au départ de ses films ! Après, à nous de le signer ou pas, de se laisser faire ou pas et longueurs ou pas.


Et j'ai personnellement signé.


Di Caprio ma directement ému. L'ambiance mélancolique m'a happé. La nonchalance de Brad Pitt qui irradie l'écran. L'inaccessible joie de vivre de Margot Robbie, que la caméra de Tarantino prend toujours soin d'y mettre une distance presque physique.


Sauf exception, pour une scène, seul moment où l'on peut "s'amuser" avec Sharon Tate dans le film, que l'on peut éprouver un peu ses émotions : la scène où on la suit au cinéma ... Pas si anodin.


Once Upon A Time in Hollywood est alors au final à mes yeux un film dense, diablement bien écrit, intime, généreux, mélancolique, jouissif et magnifiquement effronté.
Je trouve que son auteur y balance toutes ses tripes, tout ce qu'il est, laissant tomber nombre de ses gimmick quitte à dérouter une partie de son audience qui ne saurait affronter autant de sincérité sur pellicule.
(D'ailleurs, pour la première fois je crois bien qu'on ne peut pas si facilement raccorder un film de Tarantino à un genre précis.)


Bref, il faut en prendre la mesure, ce film est un geste d'artiste comme on en voit rarement.


PS: Et pour les trois du fond, comme à son habitude Tarantino y continue son jeu intertextuel fait de citations, renvois, emprunts etc. entre ses propres films et son panthéon personnel de manière aussi jouissive et subtile qu'il fait sens (autant intimement qu'avec l'histoire du cinéma).
Un cinéphile devrait être dans un état d'hyperactivité cérébral comme jamais il n'a été.

Guillaume_Capma
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le 20 août 2019

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