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On refait le monde dans une chambre d'hôtel

Disponible depuis le 15 janvier sur Amazone Prime, le premier long-métrage de Regina King, qui s’était déjà illustrée en tant que réalisatrice d’épisodes de série, et qui avait pu revenir sur le devant de la scène en tant qu’actrice au sein de la série Watchmen (2019), découle d’un concept absolument fascinant : imaginez que l’on réunisse Malcolm X, Mohamed Ali, Jim Brown, et Sam Cooke dans une pièce, et qu’on les fasse dialoguer entre eux sur la question du racisme dans les années 60. Pour rappel, il s’agissait des quatre personnalités afro-américaines les plus importantes, les plus puissantes en ce temps-là, qui disposaient chacun d’une opinion particulière vis-à-vis du racisme environnant, à une époque où celui-ci était presque considéré comme banal. Le concept avait déjà été mis en scène dans la pièce théâtrale du même nom, écrite par le dramaturge Kemp Powers, qui s’occupe ici du scénario du long-métrage. Bien entendu, cette rencontre entre les quatre hommes n’a jamais eu lieu, mais de ce dialogue fictif naissaient tout de même des pistes de réflexion intéressantes, et la matérialisation d’une pensée que certains auraient préféré garder pour eux. Cependant, le concept de cette pièce s’articulant principalement autour de ses dialogues, on pouvait se demander si, pour son premier long-métrage, le choix de Regina King d’adapter celle-ci au cinéma était véritablement judicieux.


La première demi-heure du long-métrage n’est pas pour nous rassurer sur ce point-là. Avant que les quatre hommes soient réunis dans la chambre d’hôtel, l’espace dans lequel se déroulera une bonne partie du récit, One Night in Miami nous présente chacun de ces hommes un par un. Or, c’est ici que l’on voit poindre les premières limites du film : si la photographie est assez agréable, on note tout de même une mise en scène très académique, peu surprenante, et une écriture qui a tendance à grossir le trait histoire que le spectateur comprenne bien de quoi il va s’agir. La relation entre ces quatre personnages à du mal à se faire crédible, et lorsqu’il s’agit de réunir ses pions dans un même espace, Kemp Powers manque quelque peu de finesse. Mais une fois que ces mêmes personnages débutent leur dialogue dans cette chambre d’hôtel, le long-métrage devient véritablement passionnant.


De la banalité du racisme à la pseudo-tolérance que les blancs accordaient aux noirs tant que ceux-ci se montraient exceptionnels, en passant par la représentation des afro-américains au cinéma, chaque sujet disposera de son propre développement au sein du film. Le long-métrage de Regina King a d’ailleurs la merveilleuse idée de ne donner aucune réponse définitive quant à ces sujets-là, les dialogues permettant à chaque personnage d’apporter son propre point de vue, sans que l’un de ceux-là soit salutaire.


Nous avons donc le bien connu Malcolm X, celui qui lance le débat et qui ne vit que pour la cause afro-américaine, au point de se constituer une image d’ennemi public vis-à-vis des américains blancs. Idéologiquement opposé à lui, nous avons également le chanteur légendaire Sam Cooke, considéré comme le père spirituel de la soul, qui ne voit aucun intérêt à se faire l’ennemi des blancs, comme s’il était résigné à vivre dans un pays inégalitaire. Afin de tempérer quelque peu les échanges virulents, Jim Brown, l’ex- joueur professionnel de football américain désormais devenu acteur, tentera de ne pas prendre le débat trop au sérieux, conscient qu’il est que ce sont là des problèmes qui ne pourront jamais être résolus par le débat, en une nuit, dans une chambre d’hôtel. Enfin, le jeune Mohamed Ali apporte une touche de légèreté à l’ensemble, ramenant sans cesse le débat à sa propre personne, que ce soit pour se mettre en valeur, ou pour revendiquer sa conversion nouvelle à l’Islam.


Les échanges entre les personnages se font d’abord de manière cordiale, entrecoupés de plaisanteries entre potes. Mais plus on avance dans le long-métrage, et plus l’écriture a l’audace d’exploiter avec une certaine maîtrise toutes les potentialités d’un tel débat, prenant ainsi à bras-le-corps les diverses thématiques qu’un tel concept peut proposer. Inutile de préciser que certaines lignes de dialogues trouvent quelque résonance encore aujourd’hui, notamment en ce qui concerne la sympathie que témoigneraient certains blancs à l’encontre de la population afro-américaine pour le simple plaisir de se proclamer vertueux, attendant presque de recevoir une médaille. A terme, si le film pêche par sa mise en scène, bien que Regina King parvienne tout de même à jouer habilement sur la place de chacun des quatre protagonistes dans le cadre, c’est avant tout par son écriture que One Night in Miami se démarque. Et une fois que le dialogue démarre, impossible d’en décrocher. Aujourd’hui, alors que nous ne pouvons nous rendre au cinéma pour découvrir les nouvelles sorties, la possibilité de refaire le monde dans une chambre, accompagné de quatre véritables légendes, a quelque chose de salvateur.

SwannDemerville
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le 25 janv. 2021

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