Only God Forgives est un labyrinthe. Les couloirs rougeoyants, omniprésents et oppressants dans le film, proposent à chaque détour une symbolique peut-être un peu absconse mais pleine de signification. Contrairement à ce qui est trop dit et répété, ce film est d’une rare densité, là où on l’accuse de n’être que vacuité. Attention spoilers.

OGF, c’est l’histoire de masculinités, deux modèles de « mâles alpha », en deux clans, Billy (Tom Burke) d’un côté, Chang (Vithaya Pansringarm) de l’autre, Julian (Ryan Gosling) coincé entre les deux.

Billy : cet américain exprime sa masculinité par la seule agressivité, son seul désir de possession (il possède sa mère) et de destruction. Il cherche à se payer les services d’une Thaïlandaise de 14 ans et propose à un proxénète de vendre sa propre fille. Rabroué, il se contentera de violer et de massacrer jusqu’à la mort une fille de 16 ans trouvée par hasard. Le clan de Billy, soutenu par sa mère Crystal, c’est une histoire de bites, où celui qui a la plus grosse est le plus fort, est celui qui commande et qui fait sa propre justice. Bref, la force fait loi. Après tout, celle-ci estime que Billy « avait ses raisons » de tuer cette fille.

Chang : policier corrompu, appliquant sa propre justice, Chang incarne la figure d’un parrain. Son clan, ce sont ces officiers au garde à vous, loyaux et fidèles, qui le regardent pousser la chansonnette. Chang est un personnage difficile à saisir, parce qu’entre deux expéditions punitives implacables, il est aussi la figure d’un père machiste, oui, mais protecteur. Il sanctionne le père qui a envoyé ses filles au bordel, comme il a sous sa protection deux jeunes filles dans sa propre demeure. Il est même cohérent : il punit de mort ceux qui veulent le tuer, mais punit simplement (mais sévèrement) les exécutants. C’est la raison pour laquelle il laissera Julian vivant après un premier combat qui tourne à l’humiliation : Julian exécute la volonté de sa mère.

Julian, c’est l’éternel second du clan Billy, dépossédé de sa masculinité par un frère tout-puissant qui lui fait de l’ombre et l’écrase, même mort. C’est celui qui déçoit, qui n’est pas la hauteur des attentes que l’on fait porter sur ses épaules : celui d’être un « mâle alpha ». Humilié par sa mère en public sur une comparaison de taille de bites entre lui et son frère, humilié face à Chang au combat (avec sa mère et sa fiancée qui se détournent de lui quand il est à l’agonie, laissé à l’abandon dans cette salle de boxe), Julian est frustré, soumis et sans affirmation, emprisonné dans des fantasmes sexuels qui ne se réalisent jamais.

C’est que Julian n’est pas un mâle, mais un homme, avec ses questions, ses failles. C’est pour cela qu’il ne tuera pas lui-même l’assassin de son frère (mais il tuera plus tard ceux qui voudront s’en prendre à la petite fille de Chang). Il sait que ce qu’a fait ce père pour sa fille est juste. Une question de morale qui n’a pas cours dans son clan, où c’est la loi du plus fort qui prévaut. On notera d’ailleurs la musique de cette scène (Ask him why he killed my brother), en total contraste avec le reste du film, avec une lumière très particulière, éthérée. « Je ne te comprendrai jamais » lui dira sa mère à la fin du film, quand elle le supplie, rien qu’une fois, de revêtir momentanément son rôle de mâle dominant pour la protéger, en lui promettant la fuite une fois la vengeance achevée.

Chaque plan d’Only God Forgives est rempli de significations. Là où Drive peut être considéré comme un film parfait parce qu’il maintient une équilibre délicat entre mise en scène est intelligibilité, Refn pousse son cinéma à son paroxysme avec OGF. Ce qu’il gagne en radicalité, il le perd en compréhension. Drive et Only God Forgives ont leur personnage pour point commun. Le vertueux dans un monde de brutes. Dans le premier film, Gosling enfile un masque pour cacher son humanité et devenir une machine à tuer. Dans le second, c’est son humanité qui lui vaut d’être broyé.

Impossible, avec une seule vision, de tout démêler dans le film. Nous nous contenterons alors de mettre en avant une seule symbolique, la plus évidente, la plus importante sans doute : la métaphore du symbole phallique transposé dans les avant-bras et les mains de Julian. Rien que ça.

Pour le dire simplement, le sexe de Julian dans le film, c’est ses bras. Dans ces scènes mi-rêvées et/ou annonciatrices, on peut voir Julian assis sur un siège, les bras attachés, tandis que sa fiancée prend du plaisir devant lui, le condamnant à la frustration. Il y a cette scène aussi, où il passe un interdit en allongeant la main à travers le rideau de perles - comme les grilles d'une prison - pour plonger sa main dans l’entrejambes de sa fiancée qui l'accompagne avec lui, preuve de son consentement (avec un plan sur l'entrejambes de Julian juste avant).

On peut également citer une scène en fin de film où il emprunte la virilité de Chang (en lui prenant son sabre) pour tailler une fente dans le ventre de sa mère avant de plonger sa main. Bien sûr, il y a ces fameuses scènes où Julian serre difficilement les poings : l’incapacité de concevoir sa puissance masculine comme énergie agressive.

C’est que ses mains sont capables de variations, contrairement aux autres personnages masculins. Il existe une multitude de scènes avec les mains de Julian, quand il les rince dans le lavabo par exemple, quand sa main caresse avec bienveillance la tête d’un enfant au début du film ou encore quand il saisit la main d’une femme pour l’accompagner (à vérifier, parfois j’invente).

Enfin, bien sûr, il y a ces scènes clés où Julian tend ses mains, son sexe donc, avant de se le faire trancher net par le sabre de Chang. La première fois quand il enfonce son bras dans une porte obscure (sexe féminin terrifiant), et tout à la fin, quand il perd définitivement face à Chang.
numerimaniac
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le 26 juin 2013

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