Ou comment le vrai devient sublime

La jungle, sauvage et imprévisible, n'offre l'accueil qu'aux hommes qui auront la détermination de la dominer, de se l'approprier, de l'embrasser. Si l'histoire du monde compte nombre de peuples ayant construit leur culture au sein de nombreuses d'entre elles, c'est aux Philippines, des années 40 à 70, qu'on trouvera le peuple le plus fascinant ayant vécu dans la jungle : un soldat japonais, dévoué jusqu'au plus profond de son âme à suivre les ordres, qui refusera pendant 30 ans de quitter des kilomètres de nature loin de toute civilisation, tant qu'un supérieur ne viendra pas lui annoncer que la guerre du Pacifique est finie, et qu'il peut déposer les armes.


Pour son deuxième film, seulement, le réalisateur français Arthur Harari surprend son monde en nous livrant un grand film, tourné intégralement en japonais avec des acteurs japonais, d'une durée de 2h50, tourné en pellicule, et qui pour moi est actuellement ce que le cinéma a offert de plus beau en cette année 2021


"Onoda" utilise avec intelligence son histoire vraie pour brasser de nombreux thèmes : la dévotion, la fraternité, les conséquences sur l'individu et le groupe de l'endoctrinement psychologique de la militarisation, notre rapport à la nature et à notre monde, notre rapport à nous-même et à ce en qu'on on croit où ce a quoi on obéit.


Le récit se construit avec intelligence, profitant de chaque péripétie pour amener à nouvelles questions, de nouveaux conflits d'individus, transformant un petit groupe se cachant dans la jungle en un microcosme de la société. Le simple pouvoir du soldat Onoda pour convaincre ses soldats de le suivre dans sa folie d'obéir même face à la réalité de la fin de la guerre raconte tant de choses.


Arthur Harari à su choisir une histoire forte et trouver comment la mettre à l'écran: une direction de la photographie douce-amer avec son utilisation de pellicules très marquées rappelant aux connaisseurs la kodachrome où la ekatchrome en photographie, son travail de la lumière en intérieur et en nuit, le choix de quand tourner par rapport aux paysages. Comment composer ces fameux paysages, souvent en large focale avec de beaux mouvements de grues qui nous rappelle à quel point la jungle est aussi grande que la dévotion de notre protagoniste. Une utilisation mesurée des outils du cinéma quand il le faut, notamment du zoom dans une scène de doute.


C'est extraordinaire de voir un si jeune réalisateur qui avait un signer un premier film tout à fait correct (diamant noir) revenir avec une œuvre aussi universelle et forte, aussi marquante, et devenir avec ce film un des réalisateurs français les plus importants à suivre pour les années à venir.


"Onoda" est beaucoup de choses, notamment des choses dont je n'ai pas parlé comme son casting où son travail du son, mais "Onoda" c'est avant tout une grande expérience, une œuvre contemplative et lente sur notre condition humaine et jusqu'où nous pouvons la laisser chuter sans nous en rendre compte, aveuglé par les dogmes de notre société et notre conditionnement à suivre les ordre. "Onoda" c'est un grand film, c'est un grand film de 2021 qui marque et qui marquera, avec la force et le charme des grands classiques japonais dont il s'inspire par moments. "Onoda" est fort, universel, visuellement magnifique, chargé de réflexions, un très grand film.

Kiberen
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le 25 août 2021

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