Film que j'avais lancé sans grande conviction, croyant tomber sur une série B un brin nanardesque (pléonasme), la surprise fut d'autant plus grande pour moi quand il s'avéra finalement qu'Opération Diabolique, loin de rentrer dans les clichés que je pouvais lui accorder avant le visionnage, était un film d'auteur amenant une véritable réflexion sur la personnalité, l'influence que le milieu social peut avoir sur cette dernière, la société américaine, en particulier ses plus hautes sphères, ainsi que sur la poursuite du rêve américain, le tout enrobé dans une ambiance paranoïaque digne de La Quatrième Dimension et une mise en scène aussi inventive que déstabilisante.


Car oui, malgré un titre qui pourrait amener à penser que le rôle principal est tenu par un ersatz de Steven Seagal et un pitch étrange qui pourrait suggérer le grotesque, Opération Diabolique est bien plus profond et recherché que cela. Nous narrant l'histoire de Arthur Hamilton, banquier aussi expérimenté que mal dans sa peau, le long-métrage, passé une scène d'ouverture d'une intelligence et d'une maîtrise rare - navigant dans les eaux troubles de l'étrange grâce à l'ingéniosité et la pertinence avec lesquelles sont mis en place les objectifs Fish-eye, les mouvements de caméra au niveau du sol, les gros plans ou encore les caméras fixés aux acteurs, les suivant le plus près possible et faisant peser une tension palpable -, va petit à petit à petit amener un climat de malaise, jusqu'à la scène pivot de la transformation physique tant attendue, qui n'est pas sans rappeler l'esthétique et le costume d'un autre célèbre film transpirant l’expressionnisme, à savoir Elephant Man de David Lynch, sorti en 1980, soit 12 ans plus tard, sûrement aussi par le noir et blanc commun aux deux métrages. La seconde partie, radicalement différente de la première, va donc illustrer la tentative de nouvelle vie d’Antiochus Wilson, interprété par un Rock Hudson moyennement convaincant, qui va se heurter à de nombreuses difficultés, sur lesquelles nous reviendrons plus tard, l'amenant à désobéir aux directives imposées par la firme de chirurgiens véreux, ce qui n'est pas l'idée le plus viable qui soit.


Relativement dense, Opération Diabolique va brasser large aussi bien au niveau des thématiques qu'à celui des influences. Traitant en premier lieu de la perte d'identité, de la recherche de cette dernière voire de sa multiplication (magnifiquement illustrée par un plan montrant un Rock Hudson se regardant dans une glace à plusieurs faces et montrant son visage, montré sous tous les angles, se décomposer), le film va rapidement rejoindre la critique acide de la bourgeoisie, le protagoniste n'arrivant pas à s'intégrer correctement dans cette univers social radicalement différent de celui auquel il était habitué, ce dernier étant rempli, contrairement aux clichés qui y sont liés, de faux-semblants, d'hypocrisie et de pression sociale. L'esthétique du film, elle aussi extrêmement travaillée, joue avec le noir et blanc afin, en premier lieu, de rappeler La Quatrième Dimension, mais aussi pour créer des éclairages ajoutant un aspect étrange, jouant soit sur une forte luminosité (la scène de la secte) ou sur une opposition entre ombres et lumière (la métamorphose, renvoyant encore à Kafka). La profondeur de champ, enfin, va être mise à contribution, écrasant souvent le personnage principal sous le poids de son environnement.


Mais ce qui donne un cachet tout particulier à ce film, c'est bien ce mélange étrangement soluble entre la paranoïa complotiste presque kafkaïenne et le drame introspectif, bien que le second élément soit peut-être un peu moins mis en avant que le premier, malgré sa présence dans une scène assez intelligente dans laquelle la seconde version du protagoniste se rend dans son ancien domicile afin de dialoguer avec son « ex » femme à propos de son « ex » mari. Le rêve américain va donc s'effriter sous nos yeux, au même titre d'ailleurs que le rêve tout court, amenant à une fin pessimiste et résignée, bien que prévisible. Et bien que cette remise en question soit aujourd'hui éculée, le fait que le film soit sorti en 1968 en fait (presque) un précurseur du mouvement contestataire envers ce mode de vie « idéal » que l'on pourra retrouver dans le cinéma américain des années 70, transformant le métrage en œuvre pamphlétaire et fortement engagée politiquement.


OVNI ingénieux, expressionniste, paranoïaque et satirique, Opération Diabolique est un incontournable du genre, maîtrisant parfaitement ses effets de style ainsi que son propos malgré sa densité thématique et son foisonnement d'idées visuelles. Cet aspect fourre-tout pourra sûrement en rebuter un certain nombre, mais il serait de mauvaise foi de ne pas reconnaître au film son aspect généreux et inventif, bien que l'on pourrait éventuellement lui reprocher quelques longueurs et un sentiment d'errance dans un univers si particulier, accentué par un manque de direction du point de vue du spectateur.

DJZ_
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le 4 juin 2020

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Louis Perquin

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