On peut accorder au moins deux qualités au père Kubrick, et ce même si on ne le considère pas comme le génie que tout le monde vénère; c'est sa capacité à apporter du grandiose dans le sordide, et à faire preuve d'un sens de l'esthétique du glauque plutôt remarquable.

En même temps venant d'un ex photographe à tête de pedobear chelou, c'est pas étonnant.

Trêve de trivialités, Orange Mécanique ne m'a pas plus convaincu que cela. Mais je pense, pour être honnête et juste envers le film, que cela vient tout simplement du fait que 40 ans après sa sortie son propos et sa volonté d'interpeller la ménagère a inévitablement perdu de son pouvoir d'impressionner; et ce malgré une force picturale et un cynisme du discours des plus violents, lucides et pertinents.

Le message est clair semble-t-il : la société déjà responsable d'engendrer une jeunesse décadente aux instincts bestiaux broie l'individu perverti dont elle a la responsabilité en le castrant blabla et lui enlève ses instincts primaires blabla mais ce qui fait l'individu c'est son aptitude à choisir blablabla et de ce fait la violence institutionnelle blabla blablablabla parce que.

Ouais c'est super Kubrick est un génie visionnaire trop fort mais ça m'a quand même pas enthousiasmé pour autant.

Premièrement le début terriblement accrocheur (ce travelling d'ouverture sur fond de Purcell synthétisé MAZETTE PUTAIN C'EST BON) fait monter la sauce pour terminer dans une parodie de rédemption absolument pas crédible et molle du slip. Heureusement —oserais-je dire— que la mise en scène des séquences de reconditionnement nous réveillent un peu. Parce que ça oui ça fonctionne et c'est un peu plus subversif et parlant qu'un psychopathe qui se reconverti en agneau du seigneur en séjour carcéral paradoxalement bien édulcoré par rapport au reste du propos.

Ensuite avoir un jeune acteur aussi incroyablement marquant et polyvalent que McDowell sous la main pour ne pas exploiter jusqu'au bout sa propension à provoquer le malaise, jouant sur la carte de la victimisation du personnage et balancer les efforts ayant servis à l'introduire, eh bien c'est bien dommage parce qu'au bout d'un moment on s'en fout un peu de ce qu'il peut lui arriver. Autant dès le premier plan sur son regard on est conquis, autant on se lasse de ses "Yes,sir" et de sa narration sous Noctamide par la suite.

Et puis oui c'est bien beau de commencer fort, mais c'est mieux de pas se gargariser de sa propre démarche et de finir par une seconde partie un poil masturbatoire et dont la forme bascule dans le creux après un début visuellement si frappant, surtout par contraste.

Après évidemment que c'est tellement laid que c'est beau, Kubrick nous crachant tellement bien la laideur des seventies à la figure qu'on se doute bien que c'est pour mieux la dénoncer: une modernité vulgaire et poussive dans les courbes et les lignes architecturales et vestimentaires, l'art immonde et criard, l'idée de progrès malade et le futurisme froid. Oui c'est réussi, oui c'est fascinant et dérangeant et on croirait presque que cette démonstration s'adressait déjà aux générations futures. C'est d'autant plus dommage quand ce travail esthétique semble être laissé de côté au fur et à mesure du film alors qu'il était si marquant, identifiable au début.
En guise de constante nombres de plans interpellent par la qualité indéniable de leur composition, beaucoup de cadrages sont intéressant, mais d'un réalisateur venant du monde de la photographie il me semble que c'est la moindre des choses.

La musique, baroque, grandiloquente, presque mutante dans le métissage culture/technologie dont elle bénéficie (du classique joué sur du synthétique, l'utilisation du vocoder et autres effets) lui confère un aspect organique, séduisant et dérangeant à la fois. Employée pour souligner l'arrogance et la toute puissance, le lyrisme malsain, l'ironique décadence, elle appuie par une utilisation parfois dichotomique toute l'horreur des actes dénués de morale et de conscience des fruits d'une société malade et sans valeurs représentée par les Droogies.
Kubrick en a fait une part indéfectible de l'identité du film, au même titre que Strauss est désormais indissociable de 2001.

De très bons moments de mise en scène et de réalisation, une musique constituant une forte identité, une interprétation menée par un Mc Dowell excellent, tout ça je l'admets. Mais un message plus si subversif que ça, et un traitement pas toujours constant, couplés sans nul doute à une (encore) trop bonne réputation qui l'entoure ont fait de Orange Mécanique une expérience en deçà de mes attentes.

N'y voyez aucune provocation, ni désir de polémique mais Kubrick ne casse pas toujours des briques.
real_folk_blues

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