J'ai entendu récemment de cette oeuvre : "c'est nimp'"... Mais comment peut-on avoir une réaction à ce point minimaliste et médisante pour une oeuvre aussi majeure? Quand on n'en comprend pas la portée par exemple.


L'histoire : Alex, voyou fanatique de Beethoven et d’ultra-violence, parcours la ville à la recherche de femmes à violer, et de vieux à dépouiller de leurs richesses. Trahi par les membres de sa bande, il se fait embarquer par la police. Après la prison, il est sollicité par une clinique privée pour servir de cobaye à des expériences scientifiques dignes de la torture.


"Orange Mécanique", est, à mon sens, l'un des films les plus importants du cinéma moderne. A l'image d'un Apocalypse Now (1979) par exemple, ce film invente une forme de cinéma à lui seul. Musique, réalisation incroyablement originale, adaptation d'un bouquin supposée au départ impossible (Le roman d'Anthony Burgess est magnifique...), doublée d'une réflexion moralisatrice sur les institutions psychiatriques dans l’Angleterre années 1970.


Kubrick, en dehors du génie visuel dont il a fait preuve dans ce film, semblait vouloir dire ceci : faut-il s'acharner à transformer des êtres violents par la violence? Les institutions psychiatriques qui mettent en place des traitements destructeurs à base d'électrochocs dans le but de pacifier ces êtres ne doivent-elles pas être remises en question elles-mêmes? Les institutions ne sont-elles pas plus violentes, finalement, que les supposés voyous? Etc...
Le cinéaste a utilisé des chromatiques fortes, des orangés, des rouges, qui ne sont pas trop grossiers et qui servent un décor à la fois futuriste et rétro. Le film, même s'il met en évidence des scènes d'une rare violence pour l'époque (largement dépassée depuis...), est très drôle. Malcolm McDowell s'éclate dans le rôle de sa vie (qui l'a presque détruit) et est tout le temps hilarant : quand il se fait faire une piqûre dans les fesses par une infirmière de la clinique privée, lorsque le directeur de la prison lui donne à manger à la petite cuillère alors qu'il est immobilisé sur un lit d'hôpital.
Evidemment, le ton est très grinçant : tout le monde est horrible dans ce film. Les parents d'Alex sont de vrais lâches qui remplacent leur fils comme ils le veulent, pour finalement le réinviter chez eux lorsqu'il se trouve à l'hôpital. La police embauche d'ancien voyous (les ex drougs de la bande d'Alex), rendant les frontières entre marginalité et société très opaques, fébriles, fragiles et pour finir, d'un mauvais goût. Les institutions publiques sont toutes plus arrivistes les unes que les autres. Finalement, Alex n'est pas un voyou mais une victime : le comportement qu'il avait (violent) n'est plus. Il ne peut plus être lui-même, au risque d'avoir une nausée psychotique qui le fait atrocement souffrir (jusqu'à la tentative de suicide).


L'ultime plan montre qu'on ne peut changer fondamentalement, viscéralement quelqu'un, quand bien même la personne l'a elle-même souhaité au départ.


Bravo, grande réussite.


Nb. Un truc à propos d'Orange Mécanique, et pour la énième fois, Stanley Kubrick ne faisait pas une apologie de la violence à travers ce film. Certaines personnes ont dit avoir été influencées par l'ultra-violence du film, et, à partir de leurs dires, ça y est, il est dit que le réalisateur encourage la violence. Cette violence est avant tout inspirée de la réalité, de toute l'histoire de l'humanité marquée du sceau de la violence et de la faiblesse. Et il y aura toujours des gens, des jeunes qui n'auront pas de recul sur les oeuvres qu'il ont vues, qui n'auront pas la capacité à faire abstraction de la violence vue à l'écran et à faire un distinguo fiction - réalité. En outre, Orange Mécanique comme tous les films avec de la violence exorcisent nos pulsions. Point final.

Créée

le 27 mars 2013

Modifiée

le 27 mars 2013

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Errol 'Gardner

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