Orson Welles donne ici une de ses visions de l'univers shakespearien avec une grande justesse et beaucoup d'efforts investis malgré le fait qu'il ait coupé la pièce, tranché, morcelé, compressé, on le lui a reproché, mais cette version abrégée respecte l'esprit du grand Will et ses dialogues étincelants. Le seul reproche qu'on peut faire, c'est le choix de certains comédiens, notamment l'âme noire Iago qui reste le personnage le plus machiavélique du théâtre anglais, et qui aurait nécessité un acteur plus charismatique et moins terne, de même que Desdémone qui bien que belle, reste assez fade. La splendeur baroque de la mise en scène contraste avec la sobriété du jeu des comédiens justement, où le génie de Welles éclate à chaque plan, notamment ce montage chaotique, sorte de kaleidoscope de contre-plongées, de subtils jeux d'ombre et de lumière, de perspectives architecturales. Ce film fut réalisé en plusieurs étapes, sur 5 ans, avec des bouts de ficelle, des costumes et des décors bricolés filmés dans divers pays méditerranéens, faute d'un budget suffisant ; il n'y avait parfois pas de tailleurs pour confectionner des pourpoints Renaissance, d'où le fait que Welles situe des scènes aux bains turcs, et quand il ne pouvait plus payer son opérateur, il filmait lui-même jusqu'au bout de ses forces, c'est dire si ce tournage fut épique. Le film reste aussi fascinant par sa formidable machination au subtil engrenage qui broie ses personnages, et qui illustre plus la jalousie de Iago que celle d'Othello, Welles ayant réussi à faire oublier par tous ses artifices l'aspect théâtral ; le spectacle suit la lutte allégorique du Bien et du Mal. Bref, c'est du génie à l'état pur, un grand auteur servi par un grand réalisateur.

Créée

le 22 juil. 2016

Critique lue 575 fois

17 j'aime

10 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 575 fois

17
10

D'autres avis sur Othello

Othello
blig
7

To hit, or not to hit

Si l'histoire du cinéma regorge d'anecdote de tournages catastrophiques, d'ambiances de plateau calamiteuses et de films maudits, peu atteignent l'ampleur du Othello de Welles, débuté en 1948 (en...

Par

le 12 oct. 2014

26 j'aime

8

Othello
limma
8

Critique de Othello par limma

Je crois bien préférer Welles quand il s'attaque à la littérature. Trois coups de cœur avec Le Procès, MacBeth et Othello pour une refonte tout autant créative qui marque de sa signature, qu'elle...

le 25 juin 2020

21 j'aime

12

Othello
Ugly
8

Drame de la jalousie

Orson Welles donne ici une de ses visions de l'univers shakespearien avec une grande justesse et beaucoup d'efforts investis malgré le fait qu'il ait coupé la pièce, tranché, morcelé, compressé, on...

Par

le 22 juil. 2016

17 j'aime

10

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

122 j'aime

96

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

95 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 4 déc. 2016

95 j'aime

45