Il y a dans Où est la maison de mon ami ? la simplicité aigüe d'un récit d'apprentissage au cœur même de l'enfance et la sincérité la plus touchante pour en décrire les peurs ainsi que les urgences. Tout le film se passe avec la caméra rivée sur la frêle silhouette d'Ahmad, au cours de son odyssée : en arrivant chez lui à Koker, il se rend compte qu'il a emporté par mégarde le cahier d'école de Nematzadeh, qui habite à Pochté, et il cherchera à le lui rendre avant le lendemain matin pour éviter que son camarade ne se fasse renvoyer. Deux villages et une école, soit trois microcosmes qui délimitent l'univers de l'enfant, dont l'horizon est encore un peu plus abaissé par la présence des adultes.


Le monde de l'enfance dans toute sa splendeur, retranscrit d'une bien étonnante manière : la première séquence introduit l'angoisse à l'école, avec l'instituteur qui gronde les enfants qui n'ont pas bien fait leurs devoirs, pour ensuite laisser le champ à un long périple, aussi déterminé qu'hésitant. De réprimandes en incertitudes, Ahmad parcourt les chemins de terre et les ruelles labyrinthiques des différents hameaux, à la recherche de la maison de son camarade dont il ignore l'emplacement exact. À ses questionnements persistants, les adultes n'opposent que de l'indifférence : aucun d'entre eux, ou presque, ne cherchera à comprendre les raisons de son geste. Ils ne sont là que pour entretenir la répétition des mêmes choses (certains dialogues passent en boucle une dizaine de fois) ou pour le contraindre de diverses façons (aller chercher des cigarettes pour le principe, abîmer le cahier qu'il transporte précieusement). Il ne pourra compter que sur l'aide d'autres enfants ou vieillards, et leur faisceau d'indices qui pourront éventuellement l'orienter dans sa quête vers la maison de Nematzadeh, comme dans un jeu de piste.


Solitude, angoisse, inquiétude, désarroi, mais aussi cette forme d'obstination magnifique qui anime solidement son esprit solidaire. Une opiniâtreté qui le guidera dans ce dédale de sentiers et de petites rues, de jour puis de nuit : autant d'obstacles qu'il surmontera patiemment, vaillamment, avec une persévérance que personne ne remarquera. À hauteur d'enfant, Kiarostami se promène le long d'une très belle trajectoire, rythmée par les espoirs et les malentendus, jalonnée par les interdits et les inconnues. Et au terme de cette fable poétique prenant les traits d'un marathon initiatique, le souvenir de son expédition autant que la marque de sa bienveillance dans une petite fleur séchée sur la page de gauche du cahier.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Ou-est-la-maison-de-mon-ami-de-Abbas-Kiarostami-1987

Morrinson
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le 16 juil. 2020

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Morrinson

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