Palombella Rosa, ou comment la colombe a chu en plein vol

Que la critique est ardue quand il s'agit de parler de Nanni Moretti. Tout d'abord, il y a les fans inconditionnels du film "dialogue", les amateurs de la déroute, de tout ce qui ne se comprend pas au premier abord, des films dit d'auteur. Même si le mot est galvaudé de plus en plus, il paraît prendre tout son sens ici. Ensuite, il y a les autres. Les autres qui ne saisissent pas la virtuosité de Moretti, les autres pour qui le water-polo n'est pas fantasmagorique, les autres qui ont plus de questions que de réponses. A ceux-ci je veux leur dire que je les comprend, que je suis aussi perdu qu'eux, comme si je nageais en eaux troubles.

Nanni Moretti nous emmène dans l'Italie du PCI en déclin, en nous présentant son sempiternel héros, Michele Apicella en jeune responsable de ce même parti, victime d'amnésie après un accident de voiture. La quasi intégralité du film se déroule autour et dans une piscine, où deux équipes de water-polo se disputent amèrement le titre du championnat. Jusque là, la compréhension reste somme toute aisée. Là où Nanni Moretti perd la moitié de son audimat, c'est lorsque cette scène apparemment banale se transforme en piédestal pour dénoncer mille et une choses. Michele se retrouve confronté à divers épi-phénomènes qui vont le poursuivre tout au long du film. Commençons par les deux imperturbables bavards qui n'arrêtent pas de poursuivre Michele tout au long du film en lui demandant des noms. Michele est en quelque sorte notre personnification, il semble hébété devant ces personnes, ne sachant quoi répondre. Il se fait traiter d'égoïste par ces deux nerveux de la prose, qui investissent même le micro de la piscine pour répandre un discours vague, imprécis, en d'autres termes inexplicables. Puis vient le tour du catholique suivi par la suite par ce que l'on pourrait appeler son père spirituel. Ce premier se fait rejeter à maintes reprises par Michele, dont l'intérêt qu'il éprouve pour ce nouveau personnage semble être quasi-nul. Il va néanmoins finir par écouter ce père spirituel, pour qui tout n'est question que de silence. Le silence est un but pour l'harmonie. Le lien avec le water-polo semble ainsi tout tracé, 163 buts pour trouver une harmonie intérieure, se trouver soi-même, lui qui ne se reconnaît plus après son amnésie.

En dehors de cela, ce qui marque le plus sont les répétitions, injections, exclamations, que ce soit de son ami d'enfance, comme de l'entraîneur et même de Michele lui même : Te ricordi ? Te ricordi ? Te ricordi ? Te ricordi ? Marque Budavari ! Marque Budavari ! Marque Budavari ! Marque Budavari ! Trend negativo... Trend negativo... Trend negativo... Trend negativo... Au final on ne se souvient que de cela. Il est clair que Moretti dénonce tout au long de ce film : catholiques, fascistes, médias, gauchistes, journalistes... Chacun en prend pour son grade. Cependant, le film ressemble plus à un patchwork d'idées accolées les uns aux autres qu'à une pièce cinématographique avec un début, un
milieu et une fin.

Il est vrai que les dialogues sont bien écrits, que les mots sont justes, mais la répétition incessante de chaque phrase use, ronge, irrite le spectateur. Il est vrai que les notions abordées sont estimables : entre la politique décriée par son personnage (une identité politique, un idéal communiste sur lequel il cherche à mettre des mots sans jamais y arriver réellement), la réelle nature des mots, la critique des médias dont le jargon laisse à désirer, l'enfance perdu à laquelle Michele s'attache inexorablement... Chaque élément est intéressant en soi, citons la chute avec ce pénalty tiré et re-tiré, la scène du tramway du Docteur Jivago, connu par l'ensemble des protagonistes mais dont la fin émeut toujours autant ces-derniers. Elles sont émouvantes, captivantes, mais l'ensemble, le film dans sa globalité forme un tout incohérent, où seuls les maniaques de l'analyse y parviendront à décerner tout les tenants et les aboutissants.

Au final, et pour reprendre Michele, on se trouve plus face à un "Trend negativo", que seul les amateurs du genre et/ou du water-polo sembleront apprécier.
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le 14 juin 2012

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