Il fallait bien qu'un jour, Joe Dante finisse par hurler son amour pour la série B des années 50 en y consacrant un film entier plutôt que de se contenter de truffer chacune de ses réalisations de clins d'oeil savoureux au genre (mais si, vous vous souvenez tous de Robby le robot dans Gremlins ou Les Looney Tunes passent à l'action, de morceaux de Frankenstein et autres Corman dans Small Soldiers ou de La Guerre des Mondes de 53 dans Explorers pour ne citer qu'eux...). Il fallait que ça arrive et ça fait déjà 20 ans que c'est fait... et j'avais loupé ça.


Joe Dante, c'est une pépite au royaume de l'usine à rêve qu'était autrefois Hollywood, incarnant un peu une fusion entre un Spielberg cynique et un Verheoven sous acide. Et Joe Dante est un amoureux, un grand gosse attaché à ses pairs, terreau fertile qui jadis fit pousser la petite plante généreuse de la création dans sa caboche savoureusement malade.


Dans ce coffre à jouets inespéré, cette "dantesque" boite de chocolats, Joe griffonne sa déclaration d'amour au genre avec la douce tendresse du souvenir nostalgique d'un gosse titillant la frayeur qu'il affectionne tant et le sarcasme craché d'un adulte arraché à la peur fantasmagorique pour être sauvagement plongé dans l'angoisse collective d'un âge désabusé et mécanique.
Plaçant son film dans une Amérique en pleine psychose nucléaire de 62, il délaisse de quelques années l'essor bouillonnant du film de genre pour trouver un parallèle touchant de poésie et saisissant d'aigreur entre la peur infantile, amie de tous gosses à l'imaginaire voyageur sachant trouver dans un placard ou sous un lit le monstre qui ronronne, aussi terrifiant qu'attachant, et la terreur se voulant rationnelle d'un adulte plongé brutalement dans une vie sans fantaisie, cloîtrée, sombre et résignée, où la simple aventure d'une promenade dans la rue est écrasée sous le poids d'une angoisse pétrifiante.


Le personnage de John Goodman, acteur, soit dit en passant, absolument parfait dans son rôle habité, campe ici un rocher de sûreté au milieu d'une mer déchaînée de malaise mortuaire. Sa bonhomie sans égale teintée d'une passion débordante se muant en tendre folie insouciante est l'image parfaite du réalisateur possédé par son univers grouillant à l'emphase si communicative, et offre ici, autant au public qu'à Dante, j'en suis sûr, la plus charmante et généreuse des prestations en ce grand gamin ventru, incarnation d'une petite étincelle d'espoir sur un chaos de charbon tout juste somnolant.


Et Joe Dante se fait plaisir en s'offrant le film qui rend hommage à tout un pan du cinéma, et on ne lui demande pas mieux. "Monstrueusement" documenté, Dante n'a, à mon avis, pas du faire d'immenses recherches pour élaborer ses justes références et les étayer tant il est passionné du genre et peut les sortir sans le moindre effort de mémoire. Là où son boulot a du être méticuleux et fortement affairé en revanche, c'est lorsqu'il reproduit dans une précision extrêmement convaincante et des choix aussi audacieux que judicieux l'essence même de ce qu'était le cinéma de monstre de ces années d'angoisse.
Contant la simple histoire d'une séance de ciné dont la salle obscure et le pop-corn semblent d'un coup devenir les seuls remparts fiables face au nucléaire menaçant, Dante réalise entièrement un court métrage d'environ vingt minutes pour matérialiser la projection. "MANT! L'homme fourmi" est né.

Les références pleuvent sans attendre, et pour un passionné, c'est Noel. L'écran reprend des plans de "Tarantula" et de "The Beast from 20 000 Fathoms" qu'il incruste parfaitement et subtilement au métrage racontant l'histoire aussi loufoque que saisissante comme un bond en arrière brusque de l'homme devenant fourmi suite à des essais nucléaires et grandissant de manière "exponentielle", selon des explications directement reprises de "The Amazing Colossal Man". Les détonations musicales de "L'étrange créature du Lac Noir" lors des attaques et la musique de "The Deadly Mantis" se font entendre avec jubilation, et des répliques cultes entendues ici et là sont replacées sans vergogne dans la bouche de types ressortis du passé comme William Schallert tout droit issu de "Them!" et "L'homme qui rétrécit" pour un des plus beaux hommages qui m'ait été donné de voir, trépignant d'exultation devant ce feu d'artifice de clins d'oeil et retrouvant cette sensation tant de fois éprouvée avec Dante que le film avait été fait pour moi...


Amoureux, passionné, tendre, merveilleusement grinçant et surement un brin cinglé, Joe Dante est décidément un type qui aura su faire des cadeaux précieux à ceux qui ont le bonheur de partager ses attachements. Ce film en est une des plus belles preuves, fourmillant d'une multitude de réjouissances qui ne sauraient laisser de marbre les accrocs de films de monstre d'une époque où ils avaient un charme fou. Un film à voir de préférence (absolument) sur dvd, permettant ainsi de profiter en plus du court métrage "MANT!" dans son intégralité, partie intégrante du film autant qu'oeuvre à part entière, montrant une alchimie parfaite entre les effets "faux" caoutchouteux d'un autre temps et un soucis d'une réalisation soignée et de maquillages bluffants dignes des plus grands films du genre et finalisant avec brio cette signature affective d'un gros gamin chouchoutant avec entrain un cinéma qu'il aime tant et qui l'a vu naître.

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le 18 août 2013

Modifiée

le 18 août 2013

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zombiraptor

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