Si l’homme est la somme de ses traumatismes, les additions nécessaires pour aboutir au cas de Monsieur Hire, (anti ?)héros de « Panique », sont bien nombreuses. Omniscient, mystérieux, mais surtout bienveillant, le vieux bougre, coulant ses jours dans un Paris factice, attire la méfiance de ses propres voisins, accumulant des accusations douteuses à son égard, due notamment par son extrême gentillesse. Mais il est indéniable que Monsieur Hire ne ferait pas de mal à une mouche, et c’est ironiquement en descendant de son donjon qui causera sa perte. Sous ses fenêtres, un meurtre vient de se produire, et naturellement, tous les regards se tournent vers sa personne. Mais au lieu d’hurler son innocence, il préfère céder à ses sentiments, et décide de sauver Alice, jeune femme compagne du vrai assassin. Monsieur Hire se laisse alors manipuler par le couple…


« Panique » est un film hitchcockien, dans la mesure où tout le long du métrage, nous en savons plus que les personnages, qui pourraient tout aussi bien officier dans un film noir atypique. Michel Simon, dans le rôle de Monsieur Hire, humanise brillamment son matador avec une composition intériorisée, lui conférant les traits du protecteur charismatique brisé par une passion inattendue. Julien Divivier réalise ici un film de regards, où ces derniers racontent bien mieux l’histoire que n’importe quelle réplique. Vivianne Romance, dans le rôle d’Alice, marque cette tendance par les œillades qu’elle envoie à ce drôle de monsieur évitant habituellement les échanges avec son étourage. On la voit hésitante entre l’amour naissant et le rejet, mais elle fera toujours les mauvais choix vis-à-vis de ce premier, conduisant au drame final.


Conférant parfois à l’hyperréalisme, « Panique » n’est que la chute d’un pariât mue par une tension allant crescendo, évoquant les films noirs américains sortant à cette époque. Comte social d’une cruauté sidérante mais faisant aussi preuve d’une impitoyable lucidité, en faveur d’une richesse foisonnant le récit. Sans circonlocution, le film annonce la couleur d’entrée de jeu, où l’on voit Monsieur Hire acheter sa viande sans même dire un mot à son boucher. Explorant avec acuité la bêtise humaine, « Panique » procure un effet boomerang autant qu’il ne cesse d’amplifier une sensation de malaise, reposant principalement sur la photographie, extrêmement sombre, vaguement inspiré de l’expressionisme. Accumulant les plans en plongée et en contre plongée, « Panique » prive les visages de leurs traits, atteignant le sommet de ses ambitions lors de la bouleversante séquence finale, où, plus que Monsieur Hire, c’est Alice qui perd tout, dans le plus grand silence.


Maestria, poème torturé et désespéré, « Panique » met sous nos yeux une mélancolie marginale, traduisant la dégénérescence sociale doublée de la faillite matérielle et morale. En éclairant une étroitesse d’esprit fatale, « Panique » se dresse comme un film magistralement élégant, doucement éprouvant et physiquement déstabilisant. Pour arriver à toucher à tous ces arguments, Julien Duvivier mérite bien le titre de génie.

Kiwi-
8
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le 15 avr. 2016

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