Imaginez un monde heureux. Imaginez un monde peuplé de Xavier Bertrand, de gentils Xavier Bertrand. Tout le monde il est content, tout le monde il est gentil, tout le monde il s'en fout. C'est sur cette poignante utopie que se referme Paradis pour tous.


Comment en est-on arrivé là ?


Bienvenue en France. L'esthétique criarde, que dis-je cette invasion de la Pologne rétinienne ne laisse aucun doute : nous sommes au début des années 80.
André a tout pour être heureux : une bourgeoise de premier choix (Fanny Cottençon), un emploi gratifiant, une vaste demeure et une belle-mère... à demeure. Pourtant Pierre est depressif. Ses idéaux de jeunesse n'ont pas survécu à la société cynique et matérialiste qui est la sienne. Il décide de mettre fin à ses jours. L'ironie suprême veut qu'il soit sauvé par l'enseigne de sa société, qui vend des assurances vie. Une seconde chance lui est donnée : être flashé. Le Docteur Valois a un remède de choc contre la dépression, même que ça marche du tonnerre sur les chimpanzés. André se fait flasher et il ne verra jamais la vie comme auparavant.


Son virage philosophique radical ne va pas laisser son entourage indifférent. Ce film foncièrement malin offre l'irrésistible évolution de ce petit monde en moins de deux heures et visite avec noirceur les grandes thèses philosophiques. Notre rapport au bonheur est bien évidemment le motif central et me rappelle avec mélancolie ma classe préparatoire. L'occasion de réviser un peu à coups de lance-pierre.


Portrait robot d'un flashé.
La première chose qui frappe nos rétines éberluées, c'est le stoïcisme. Le flashé possède un détachement total face aux affres de l'existence. Effets secondaires, il en résulte un tempérament glacé comme le vent du nord et un quotient émotionnel en chute libre. Ses futurs clients peuvent toujours s'évertuer à le tancer, ils s'effondreront les premiers sous leurs propres insultes revenues aussi vives qu'au lancer. Conscient du caractère éphémère de son existence et que les plaisirs sont fugaces, André jouit simplement de chaque instant, la libido toutes voiles dehors. Tel Épicure, il prend garde d'éviter les plaisirs malsains tels que le tabac et l'alcool mais sombre dans un consumérisme naïf, nourri de son amour de la publicité. Sa volonté de puissance est pure et saine. Il travaille sans relâche à sa réalisation personnelle, réussit dans tout, du sport au travail à la grande satisfaction de son patron. Mais son invincible ascension ne s'encombre d'aucune crainte de la chute ou de la régression : ce qu'il a gagné, il est prêt à le perdre. Dernière victime du traitement, l'embarrassante morale a été désintégrée. Adieu scrupule, remord et dilemme, l'insensible raison maximise son profit. Fantastique et unique, Patrick Dewaere s'amuse et nous s'amuse avec son petit sourire ironique de façade, et son inébranlable contenance alors qu'il assène le propos le plus absurdement raisonnable.


Tout le monde se demande s'il est encore humain. A commencer par sa femme qui croit vivre avec un robot lubrique. Même le Docteur Dutronc s'y met avec son frankensteinien "J'ai créé un monstre !". En guise de conclusion, le couple échange sur l'oreiller un dialogue révélateur : "On est bien ? - Comme des bêtes." Perdant toute humanité aux yeux de ses proches, André se révèle être une machine terriblement efficace et adaptée à notre société. Son cynisme et son absence de réponse émotionnelle font mouche. Ici repose le pessimisme profond du film.


Gouvernés par leurs angoisses du lendemain et sans courage, tous vont bientôt se précipiter sur le remède miracle. Le progrès social est en marche, et accouchera d'un monde niais, aux couleurs baveuses et aux lignes obsolètes d'un Orange Mécanique à la française.

Raf
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le 28 févr. 2011

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Raf

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