Difficile de mettre des mots sur l’impression que laisse Parasite tellement il glisse d’un genre à l’autre, cache sa noirceur sous son image lisse et colorée formellement impeccable, met de la vraie tendresse voire de la mélancolie dans son ironie mordante et des gros bouts de thriller horrifique dans un postulat pas loin du théâtre de boulevard. Une certitude cependant : il faut remonter aux années 90 et les palmes d’or d’Underground ou de Pulp Fiction pour retrouver un film aussi directement percutant au sommet du palmarès cannois.


Parasite pour faire simple… on ne peut pas faire simple. On pense qu’on a compris quand on voit se profiler un récit d’arnaque d’une famille de débrouillards désargentés dont le fils, falsifiant tous ses diplômes, devient le professeur d’anglais de la jeune fille d’une famille richissime, toutefois il ne s’agit que du premier coup d’un jeu retors qui retaille ses thèmes et ses ambitions toutes les demi-heures à peu près. Rappelez-vous Okja, son précédent film (largement plus inabouti), qui commence comme une version live de Totoro pour finir dans une copie à peine dissimulée d’Aushwitz, Bong Joon Ho semble ici de nouveau traverser cinq ou six genres de Cinéma dans sa satire sociale. Avertissement donc aux nouveaux venus, les ruptures de tons sont brutales et s’il n’est pas insoutenable, Parasite recèle sa part de malaise et de malsain.


Parasite, l’accusation est lancée. Tendre avec personne, on ne sait pas qui ce qualitatif vise, les riches pas mal pervers, les pauvres manipulateurs sans remords ? Sa société des apparences où sous un vernis de bienséance les coups bas pleuvent dépasse largement le cadre de la Corée du sud. Bong met le doigt où ça fait mal dans son écriture croquant de délicieuses satires, et sans spoiler, on peut dire qu’il ne voit pas vraiment d’échappatoire à la façon dont les choses tournent inlassablement. Amusez-vous à remarquer les comportements qui se répètent, les personnages qui semblent échanger leurs places, les jeux de correspondance sont nombreux pour montrer que quoi qu’il se passe, rien ne change, comme une condamnation en masse de son monde si proche du nôtre.


Synthèse de sa filmographie qui se centre de nouveau sur la Corée après un passage à l’international, on redécouvre le noyau familial comme une increvable coque de noix dans la tempête à la façon de The Host ou de Mother (dont il reprend les bières, petit détail), et ses éléments clefs comme une façon d’utiliser la fiction pour radiographier notre monde (audacieux dans Snowpiercer avec son microcosme sur rails, plus boiteux dans Okja avec son cochon OGM). De Snowpiercer il a d’ailleurs gardé cette obsession pour l’unité de lieux où s’affrontent différentes vision du monde. La villa moderne où se passe l’action de Parasite répondant par son architecture même aux thèmes du film, grandes pièces épurées où le regard semble tout embrasser, et pourtant… Au contraire, plus c’est clean, plus ça surprend quand l’impensable survient, comme une goutte de sang sur un drap blanc.


Cinq mois de tournage, des acteurs parfaits, une histoire millimétrée, rien à dire on est devant un créateur au sommet de son art et crier “Palme d’or” le soir de la première n’aura été qu’une question de bon sens. Reste que Bong est maudit pour avoir déjà tourné son meilleur film, l’immense Memories of murder qui aura mis 10 ans à sortir de l’ombre, et la précision maniaque de ce Parasite avec son récit qui s’emboîte jusqu’au moindre détail manque de cette once de dinguerie qui me permettrait d’hurler au génie. Etre trop lisse pour un film sur ce qui se tapie dans l’ombre est un comble, loin d’être Kafkaïen, son parasite ne laisse aucune question en suspend, pas d’ouverture folle vers un autre imaginaire.


Après les palmes c’est comme le vin, les rouges puissants on besoin de respirer. Récipiendaire hagard d’une des séances de ciné immanquable de l’année, on sur-conseille sans hésitation ce cinéma méchant arrivant sous ses plus beaux atours et on prédit de se faire un avis plus définitif dans quelques jours. A temps pour sa sortie le 5 juin en somme, histoire de réitérer l’expérience.

Cinématogrill
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le 28 mai 2019

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