Bong Joon-Ho n'a plus rien eu à prouver dès son premier grand triomphe cinématographique, le trempé Memories of Murder, signant par la même occasion la mise en lumière de son fidèle acteur Song Kang-Ho et établissant les gimmicks du film noir coréen à savoir l'incessante pluie, la brutalité et le comique de situations.
Ses oeuvres futures, The Host, Mother et dans une autre mesure Snowpiercer et Okja entremêleront toujours ce qui fait encore aujourd'hui avec Parasite, sa marque de fabrique, à savoir la juxtaposition des genres en un tout cinématographique virtuose.
La Palme d'Or cette année a récompensé un film somme, d'une intelligence extraordinaire. D'une beauté terrassante, d'une malice redoutable, d'une délicieuse violence. Parasite brille parce qu'il porte un regard humain sur l'impossibilité de deux classes à cohabiter ensemble à travers le prisme des genres : le film débute comme une comédie sociale à la Dodesukaden (Kurosawa, 1970) avant de basculer vers une peinture de la bourgeoise froide coréenne dont seuls les plus jeunes paraissent encore être épargnés pour enfin toucher par le biais d'une poignée de séquences grisantes le thriller, le film catastrophe et l'épouvante. Le film atteindra d'une dimension effrayante à mesure qu'il s'enlise vers ce que l'on ne peut/doit pas voir, avec une finesse qui tient du miracle quand il provoque le rire à travers des situations burlesques.
La séquence la plus démentielle dans "Mother", d'un point de vue maîtrise du temps, de l'espace et du montage, était celle de la bouteille d'eau. Dans Parasite, le suspense le plus fou peut tenir par l'utilisation d'un téléphone portable comme une véritable arme, d'une ampoule comme moyen de communication à distance ou d'une odeur suspecte. Le motif de l'odeur, impossible barrière entre les deux classes et qui ramènera toujours la famille de "Monsieur Kim" à son statut de type des "bas-fonds", permet au cinéma d'alterner les tons avec la fluidité et la grâce d'une valse. Le cadrage fait sens, exprime une idée, un point de vue, revenant toujours sur les conditions des classes par un motif géométriquement simple comme bonjour mais toujours utilisé à bon escient : les riches sont en haut, les pauvres sont en bas, dans un entresol, un sous-sol ou sous une table.
Rarement aura t-on autant senti par l'intermédiaire de pirouettes visuelles ou de cadrage le plaisir d'un cinéaste à jouer avec tout ce qui l'entoure, tout ce qui peut être du cinéma (un visage, un décor, une odeur, une lumière, une voiture, un jardin, tout!). Parasite, à coups sûrs, en fera valser plus d'un par sa sidérante maîtrise formelle, sa poignée de séquences comptant parmi les plus importantes du cinéma mondial. Bong Joon-Ho nous avait habitué à clore ses films de manière plus concise et sèche ce qui n'est pas le cas ici. Le final grand guignolesque hisse le film encore d'un cran dans le métissage des genres.
On en ressort lessivé, épuisé, éreinté face au talent du coréen qu'on ne devinait pas à ce point important. Bong Joon-Ho ce grand faiseur de blockbuster social peut se targuer aujourd'hui de figurer parmi les cinéastes les plus importants de sa génération.