Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. Ce pied dans la porte constitue le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne… Présenté en compétition au Festival de Cannes 2019, Parasite a remporté la Palme d’Or, décernée à l’unanimité par le jury. Il s’agit de la première Palme d’Or pour un film coréen. Printemps, été, automne, hiver… et printemps (2003) de l’autre Coréen, Kim Ki-duk, ne l’aurait pas volé. Amusons-nous au souvenir du film de Kim : Locataires (2004), dont le personnage principal squattait des logements vides jusqu’au jour où… Bong Joon Ho a revisité le polar avec Memories of Murder (2003), sublimé le film de monstre post-nucléaire avec The Host (2006), ému avec le jubilatoire Mother (2010), politisé le blockbuster de SF avec Snowpiercer (2013) et bouleversé (encore une fable écologique) avec Okja (2017). Bong Joon Ho aime les gens simples, les déclassés. Des idiots désargentés dont Matthieu (5:4-11) assurait qu’ils seraient propriétaires du paradis célestes à défaut d’être propriétaires dans une de ces mégapoles hors de portée.


À propos de Parasite Bong Joon Ho déclare : Une tragicomédie impitoyable et cruelle, Une comédie sans clowns, une tragédie sans méchants, avec laquelle il a cherché à observer comment différentes classes sociales pouvaient cohabiter dans un monde où les rapports de classe sont de plus en plus violents : Au milieu d’un tel monde, qui pourrait pointer du doigt une famille qui lutte pour sa survie en les affublant du nom de parasites ? Ils n’étaient pas des parasites au départ. Ils sont nos voisins, nos amis et collègues, qui ont été poussés vers le précipice. Qui pourrait ? Nous tous ! Car les Parasites, ce sont les Gilets Jaunes investissant les ronds-points ou les Champs Elysées, des invisibles ambitieux, des ombres attirées par la lumière. Avec Parasite, Bong Joon Ho zoom sur des inégalités sociales inflationnistes touchant les économies mondiales gavées sous l’œil indifférent du capitalisme repu, grand organisateur, entre deux délocalisations, deux bals de charité, de Prix Nobel d’économie et de belles palmes d’Or. Seul l’emploi permet à différentes classes sociales de se rencontrer, lorsque l’une est engagée en tant que domestique au service de l’autre explique Bong Joon Ho qui poursuit : Dans la société capitaliste d’aujourd’hui, il existe des rangs et des castes qui sont invisibles à l’œil nu. Nous les tenons éloignés de notre regard en considérant les hiérarchies de classes comme des vestiges du passé, alors qu’il y a encore aujourd’hui des frontières infranchissables entre les classes sociales. Je pense que ce film décrit ce qui arrive lorsque deux classes se frôlent dans cette société de plus en plus polarisée.


Le meilleur moyen de se frôler, c’est d’avoir un travail (un travail et de l’argent, ça fait beaucoup). À propos du film de Bong, agace la lecture de nombreux articles évoquant frémissants : la Lutte des Classes. Pas de panique, il n’y a plus de lutte depuis longtemps. Quelle servilité ! Qui donc écrira l’histoire de l’esclavage depuis sa suppression, raillait Georges Darien. Les deux ou trois gnons distribués lors des samedis jaunes ont donné lieu à tant d’atermoiements, de serments main sur le cœur et de sanglots longs, que pour ménager la sensibilité des journalistes et de la classe politique (tiens, là on parle de classe comme ailleurs de caste), il y a fallu aux manifestants tellement condamner leur action que leur action s’en est retrouvée condamnée. Non, il n’y a plus de Lutte des Classes, juste une exploitation des uns sur les autres et, dans une moindre mesure, une récupération des miettes par ces autres. En d’autres temps, Octave Mirbeau (journal d’une femme de chambre) posait le même regard sur le mépris et la résignation sociale des serviteurs. Un domestique, ce n’est pas un être normal, un être social… C’est quelque chose de pire : un monstrueux hybride humain… Il n’est plus du peuple, d’où il sort ; il n’est pas, non plus, de la bourgeoisie où il vit et où il tend… Du peuple qu’il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve… De la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire… On est loin de l’exaltation romantique d’un Marx. Les parasites de Bong Joon Ho et ceux de Mirbeau, ce ne sont pas ces pilleurs de la troisième mi-temps des samedis jaunes, ces voleurs antisociaux ayant appris leur métier avec Georges Darien et Louis Malle. Mais les laborieux se lassent parfois des révoltes et hors les grandes fièvres révolutionnaires, dont la bourgeoisie tire toujours la plus grosse épingle du jeu, il faut bien reconnaître que la lutte sociale ne fait plus recette depuis longtemps. Reste la combine, le revolving et en dernier recours le squat, l’expédient, la délinquance ; le parasitage. Quand Snowpiercer allégorise sur la Lutte des Classes avec furie, Parasite installe ces héros dans l’ère postrévolutionnaire où le précaire, profite du système, un peu, touche ses allocs, un peu et se serre la ceinture, beaucoup. Si les oubliés de Bong profitent de la naïveté de ses hôtes fortunés pour se substituer méthodiquement à ses employés de maison. Ils ne nuiront réellement au final qu’à leurs semblables. Comme toujours, un grain de sable imprévu dans le plan bien huilé des intrus va déclencher un engrenage aux conséquences dévastatrices. Dieu n'est pas dans notre camp.


La société comme elle va. Déjà, dans son premier film, Barking dogs, sous le regard critique de son épouse, un mari, universitaire sans emploi se frayait un chemin dans la société en acceptant de verser un pot-de-vin. L’histoire de la Corée contemporaine inspire Bong Joon Ho. Ce pays, libéré de la dictature dans les années 80, rendu paranoïaque par les menaces de la Corée du Nord, n’en finit pas de manifester et de se faire remettre au pas (manifestation et répression meurtrière de Gwangju). Grèves, répressions, pauvreté et nouveaux riches cohabitent, se parasitent pour le bonheur du cinéma de Bong Joon Ho et notre plaisir. Bong se moque de cette nouvelle bobocratie tapageuse (la même qu’en Chine, en France ou n’importe où dans le monde) dans l’étalage de ses richesses, de ses bagnoles, de ces cuisines ouvertes (avec îlot central), qui a émergé en Corée et de partout, depuis une vingtaine d’années. Bong ironise sur cet ascenseur social en panne mais ne nous trompons pas, l’Anarchie ce n’est ni le bordel, ni le vol autorisé. C’est la force du film. Dans Parasite, les intrus veulent juste rétablir un certain équilibre et obtenir une part du gâteau par leur travail. S’il y a prise de conscience d’une évolution nécessaire, c’est celle du remplacement par le fight du combat de gentlemen’s. Après le scandale qui touche l’ex président de l’Assemblée Nationale (la Corée n’est pas à l’abri de la corruption comme le démontre la condamnation de son ex-président Lee Myung-bak en 2018 et de l’ancienne présidente Park Geun-Hye en 2017), qui croirait encore à la loyauté, au respect des règles, à la démocratie ? Toujours Mirbeau : Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d’inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines… Les domestiques apprennent le vice chez leurs maîtres… Erudimini.


Comme le souligne Stéphane du Mesnildot des cahiers du cinéma, la famille est également au cœur du cinéma de Bong Joon-ho qui raconte souvent la puissance du lien clanique, pour le meilleur et pour le pire : Ce sont souvent des familles organiques, soudées malgré leur aspect dysfonctionnel, comme celle de The Host et de Parasite, dont chaque membre se complète pour devenir plus fort dans l’adversité. On trouve beaucoup de familles de ce modèle en Corée. Les thématiques sociales et familiales n’ont certes rien de nouveau au cinéma, le talent de Bong Joon-ho c’est leur fusion dans des intrigues loufoques aux héros pluriels. Sur ce thème, voir le touchant Une affaire de famille du Japonais Hirokazu Kore-eda, même critique sociale, même marginalité et mêmes engrenages. La famille, la communauté, le gang, autant de repli à l’écart d’une société politique défaillante.


Un film troublant servi par une troupe d’acteurs rompus à la malice anarchiste de Bong. Un montage virtuose sans excessive nervosité mais qui va inéluctable vers sa conclusion tragicomique, peut-être un peu appuyée. Bagnoles, cuisines ouvertes (avec îlot central) mis à part, il n’y a dans ce jeu de dupes que des perdants. Cioran conclurait : On est et on demeure esclave aussi longtemps que l’on n’est pas guéri de la manie d’espérer. De l’espoir le film de Bong n’en manque peut-être pas.

Lissagaray
8
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le 13 juil. 2019

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