Acclamée de toute part, la Palme d'Or 2019 décernée à l'excellent réalisateur Bong Joon-Ho ("Snowpiercer", "Okja", "The Host") aura réussit l'exploit (et le mot est faible) de réjouir autant les critiques de Cannes que le grand public, chose qui ne s'était plus produite depuis "Pulp Fiction" il y a déjà 25 ans.
Et au vu du résultat final, on peut dire que ce triomphe tant cannois que commercial est amplement mérité tant "Parasite" est (osons le dire) un immense film sur bien des points.
Racontant l'histoire d'une famille pauvre (Ki-Taek) qui va mettre sur pied une arnaque afin d'intégrer professionnellement une famille riche (les Park), le nouveau film de Bong Joon-Ho entend dresser le portrait d'un constat assez peu glorieux, soit celui d'une lutte des classes entre deux fratries opposé sur le plan financier. Mais plutôt que d'opter pour un drame social pessimiste façon frères Dardenne ou Ken Loach, le cinéaste coréen opte pour une approche plus accessible, en situant son film aux confins du thriller, de la comédie noire et de la chronique douce-amère. Et ce qu'il y a de bien, c'est que tout cela est très cohérent, le scénario est très bien construit et nous fait passer d'une émotion à l'autre (le rire, la tristesse et la tension la plus insoutenable) avec une redoutable efficacité, et ce grâce à un montage aux petits oignons.
En prenant le temps de nous présenter ces deux familles, Bong Joon-Ho nous aide à nous familiariser avec l'ambiance et les personnages de son film pour justement mieux nous préparer aux nombreux rebondissements et effets de suspense qui l'imprègnent.
L'autre grande force du long-métrage réside dans le fait qu'à aucun moment, le cinéaste ne les juge . Il n'y a, à proprement parler, ni "bons" ni "mauvais"; que l'on soit riche ou pauvre, on reste avant tout un être humain avec ses bons et ses mauvais côtés. En choisissant de mettre les deux familles sur le même pied d'égalité (en terme d'intelligence et d'humanité), Bong Joon-Ho s'intéresse avant tout à l'humain, à ce qu'il est capable d'endurer ou de faire pour se sentir épanoui socialement et moralement, quitte même à flirter avec les limites du mal. Et ce constat, le réalisateur en rend compte de manière jubilatoire à travers un humour noir émanant le plus souvent de situations cocasses (que nous tairons ici) et surtout via de nombreux dialogues.
Pour autant, si le film peut paraître par moment un peu rude vis-à-vis de ses protagonistes, il n'est jamais moqueur et évite de sombrer dans le cynisme facile façon Etienne Chatiliez. D'autant plus que c'est grâce à leur esprit malin que la famille de Ki-Taek va s'immiscer progressivement au sein des Park.
Arrive ensuite le suspense et l'aspect thriller du film. A la manière de Hitchcock et de Chabrol (par ailleurs deux des sources d'inspiration du réalisateur), Bong-Joon Ho ménage ses effets de très belle manière, en montant crescendo dans la tension et le frisson. En jouant habilement la carte du "spectateur qui en sait un peu plus que le personnage", le réalisateur arrive à instaurer une pression des plus suffocantes qui ne nous lâche pas d'une semelle. A souligner également, le jeu d'acteur très convaincant qui participe également à ce climat tout en tension.
En entremêlant différents genres de manière cohérente et subtile, Bong Joon-Ho signe une oeuvre majeure, riche et significative à plus d'un titre, au propos social certes dur mais intelligemment traité en évitant tous les clichés misérabilistes du genre, qui en dit long sur la société d'aujourd'hui (et pas seulement coréenne), et qui, en plus, nous offre un très grand moment de cinéma, accessible au plus grand nombre et ponctuée de séquences fulgurantes; en somme, le film qu'il fallait pour réconcilier le Festival de Cannes avec le grand public.
Une oeuvre à découvrir absolument, l'une des meilleures de l'année !