Comptant parmi les fers de lance du cinéma sud-coréen, Bong Joon-ho en est certainement le meilleur promoteur actuel : encensé par la critique avec Memories of Murder, revisitant avec brio le film de monstre (The Host), s’ouvrant à l’international sans se départager de sa signature (Snowpiercer), suscitant la controverse en compagnie de Netflix (Okja)... enfin, son Parasite vient de glaner rien de moins que quatre statuettes aux Oscars 2020, et pas des moindres (meilleur film, meilleur film étranger, meilleur réalisateur et meilleur scénario original).
À l’aune de son récent triomphe, l’occasion était donc toute indiquée de découvrir Parasite de nouveau projeté en salle : si nous conviendrons alors que l’effet « Oscar » lui assurait une aura toute particulière, sa hype des plus conséquentes (avec une Palme d’or unanime en guise de prémices luxueuses) m’avait enjoint à la prudence l’an passé... tout ce tintamarre étant à même d’en parasiter l’appréciation. Un train de retard bienvenu en somme, et un premier mot pour en résumer le visionnage : jubilatoire.
Le fait est que Parasite, nonobstant sa myriade de récompenses et le consensus qu’il suscite, a tout de la production jouissive à la sauce sud-coréenne : mise en scène exquise, goût immodéré pour le second degré et un sous-texte prépondérant, personnages farfelus et humour noir de rigueur. Sa particularité tenant à juste titre en son postulat de base dont il va grossir le trait à l’envie : la lutte des classes. Une étiquette sociétale incontournable donc, qui aura tôt fait de virer à la farce tantôt maligne, tantôt excessive : de quoi former le creuset de tout un paradoxe, le film en tirant son succès... mais aussi ses limites.
Curieusement, avec ses allures de satire jusqu’au-boutiste et son outrance naturelle, Parasite pouvait paraître littéralement premier degré : mais au regard de ses élans facétieux et une surenchère allant crescendo, il en sera bien tout autre. De surcroît, ses rares décors et la maîtrise du cadre de Bong Joon-ho lui confèrent des traits théâtraux patents, univers réaliste mais non moins décalé au sein duquel ses protagonistes vont évoluer de façon millimétrée : un constat rejoignant une narration en deux temps, son fil rouge se déroulant d’abord avec une fluidité aussi savoureuse que prévisible... puis vient la rupture tant attendue, elle qui va précipiter tout ce joyeux petit monde, spectateur compris, dans un engrenage on ne peut plus tumultueux.
Entre précision et réglage digne d’un papier à musique, Parasite tient donc du récital sans accroc mais qui, par voie de conséquence, tendrait à s'essouffler une fois la surprise passée. Pour autant, celui-ci nous invite d’emblée à le revisionner afin d’en déceler toute les subtilités, le jeu des apparences et des faux-semblants se prêtant particulièrement bien aux détails annonciateurs, eux qui font d’une certaine manière toute la sève de ce thriller improbable.
Bien aidé par sa brochette d’interprètes tous plus excellents les uns que les autres, le long-métrage dispose dès lors d’atouts à même d’occulter (en partie) ses fameuses faiblesses : car les ficelles apparentes de sa structure narrative, la nature résolument archétypale de ses personnages et ce même penchant pour l’outrecuidance, quitte à en faire un poil trop lors de son dénouement macabre, concourent à en amoindrir la subtilité.
À la fois beau, captivant, drôle et féroce, Parasite avait donc bel et bien de quoi marquer durablement (et positivement) les esprits : aussi, quand bien même son message « sociétal » oscillerait entre binarité et exagération, force est d’admettre qu’il s’agit là d’un superbe coup d’éclat de la part de Bong Joon-ho.