Critique rédigée en août 2019


Sachez une chose: en cette pénible journée du 15 août, outrant à son habitude la sérénité de l'été, je ne me sens pas émotionnellement prêt à parler de Parasite. Cependant, parler d'un film alors que son impact sur vous est encore immense, semble être la meilleure façon de rédiger un avis passionné. Mais que dire d'un film mettant en scène une famille de parasites, de la vermine parmi la vermine telle l'insecte écrasé par Song Kang-ho dans l'incipit, et dont la vie se résume à traîner sur le sol à la recherche de quoi vivre ?!


Justement, c'est ainsi que débute le film: une famille vivant dans la misère, les Kim dont les ventes de pizza sont le seul moyen de se nourrir. Le fils, Ki-Woo, accepte par la demande d'un ami de donner des cours particuliers d'anglais à la jeune Da-Hye, fille de la richissime famille Park. De l'autre côté, sa soeur Ki-Jung s'engage à enseigner les arts plastiques au jeune fils Da-Song, enfant au caractère très particulier. Tombés sous le charme de leur grandissime demeure, véritable palace et source de mystères, les deux jeunes gens vont par la suite être suivis par leurs parents, y voyant l'opportunité de profiter des biens de la fiche famille. Ainsi le père, Ki-Taek devient le chauffeur familial et la mère, Chung-Sook fera office de gouvernante après une suite d'épreuves, qui leur vaudra finalement de risquer leur nouvelle vie, voire leur vie "tout court"... Les parasites peuvent-ils sortir malgré eux de leur nid d'insectes ? Peut-on échapper à ses pêchés ?


Allons droit au but: Parasite est une claque. Et pas seulement une claque: une claque bien salée dont personne ne ressort sans bleus. Étant un adorateur modéré mais satisfait du travail de Bong Joon-Ho, je doutais fort de renier le lauréat de la Palme d'or de 2019. Mais pouvais-je m'attendre à recevoir une claque pareille de la part réalisateur sud-coréen, sans crier gare ?! Jusqu'ici, outre le troublant Memories of Murder (2003) et l'émouvant The Host (2006), il me manquait LE chef d'oeuvre du réalisateur, qui m'a habitué à des perles rares du cinéma coréens mais comprenant un petit quoi avec lequel j'étais circonspect. En l'occurrence, après une nuit de réflexion, aucun reproche ne me vient l'esprit.
Parasite est tout simplement un chef d’œuvre authentique d'une puissance indescriptible et aux ressources hybrides, une véritable oeuvre d'art fouillée dans le moindre détail et qui atteint un niveau d'éclectisme inégalé. Ici nous assistons typiquement à l'autoportrait du cinéma de Bong Joon-Ho ; nous retrouvons chaque thématique commune et tout ce qui fait l'identité du cinéma de cet homme et à un niveau encore jamais atteint !


L'histoire, entre fable horrifique tantôt drôle et tantôt terrifiante, ne tombe nullement dans le piège du film cannois au propos lourd et surfait. Pourtant, un thème tel que la lutte des classes, ou autrement dit la richesse contre la misère, était extrêmement tabou et nous aurions pu nous attendre à un énième discours manichéen visant à valoriser une classe pour dévaloriser l'autre. Bong se tient à l'écart de ce type de discours, mais s'est arrangé pour que le thème de la lutte des classes devienne non seulement une toile de fond pour dénoncer considérablement les mauvaises passions de l'Homme (thème central des polars asiatiques classiques), mais en plus pour livrer une analyse sociologique des rapports humains dans la société coréenne.
Nul n'aurait cru s'attendre une descente aux enfers mêlant aussi parfaitement l'humour de moeurs (c'est-à-dire rappelant le quotidien d'un groupe de personnes précis) et le ton horrifique, comme rarement les comédies horrifiques sont parvenues à le faire. Nan, il s'agit d'un film d'horreur réaliste, rappelant l'excentricité de Funny Games (1997) de Michael Haneke. Dans les deux cas est mise en scène l'horreur pure, nous rappelant à quel point les traîtres et les imprévus sont partout, et surtout jusqu'à quelle mesure l'Homme est capable de se dénaturer afin d'atteindre son but sans cas de conscience de frauder l'humanité d'autrui.


En l'occurrence, l'élément perturbateur principal de l'histoire va être déclenché lorsque la famille va voir son secret dévoilé par deux personnages inattendus, l'ancienne gouvernante et son mari qui vivait caché par dépit dans le bunker de la luxueuse demeure depuis quatre ans.


À cet instant de l'intrigue, une impitoyable descente aux enfers est déclenchée, et le mécanisme atteindra son paroxysme dans une seconde partie à couper le souffle, et dans laquelle la cruauté inouïe et les effusions de sangs émanant de la mise en scène rencontrent un humour noir réjouissant, nous faisant passer du rire aux larmes d'une minute à l'autre et sans temps mort.
La peur émane de l'immensité du cadre spatial central de l'intrigue, un espace dérangeant dont les longs voire étroits couloirs nous marquent profondément et faisant par ailleurs appel très furtivement à nos peurs ancestrales.


La plus marquante est bien-sûr le bunker caché derrière la cave de la demeure, et dans lequel sont enfermés l'ancienne gouvernante et son époux bien décidés à se venger de leur sort.


Au même titre que les enfants craignant que le loup sorte du placard de leur chambre, la famille de Ki-Taek craint le dévoilement de leur secret par deux individus enfermés derrière une porte secrète, source de malheur qui n'était pas incluse dans le plan machiavélique conçu au fil de la première partie du film.


L'esthétique tient une place primordiale dans le film où nulle couleur éclatante ne subsiste, renforçant davantage les craintes de la famille Kim et nous mettant ainsi à la même place que cette véritable famille de bêtes humaines. L'image est belle, sobre, n'est jamais excessive et de très nombreux plans resteront dans nos mémoires parmi les plus beaux jamais vus dans un film de genre thriller. La mise en scène brille de mille feux par la mise en valeur des visages des acteurs principaux tels que les délicieuses Park So-dam (la jeune Ki-Jung) et la minuscule mais surprenante Jung Ziso (Da-Hye, mystérieuse et mystique), complétée par une bande originale incroyable signée Jeong Jae-il, retentissant même bien après la fin du film.
Dieu que je t'aime Bong Joon-Ho, tu es tout bonnement l'un des plus grands génies de toute l'histoire du cinéma. Personne auparavant ne m'avait ainsi transporté dans son univers, au point de ne plus savoir si c'était des larmes de joie ou de peur qui se déversaient sur moi.


J'aurais encore tant de choses à dire mais à ce stade, le film parle de lui-même ; il faut le voir. Plus belle Palme d'or depuis une vingtaine d'années (outre Dancer in the Dark de Lars von Trier, aucun film cannois n'a pu obtenir une telle qualification de chef d'oeuvre à mes yeux), Parasite est un film choc, un véritable raz-de-marée émotionnel décuplé par le nouveau maître coréen, bienvenu parmi nos salles obscures françaises.
En dépit d'une violence (jamais gratuite, mais âmes chastes abstenez-vous) barbare à côté de laquelle Kubrick et Haneke font pâle figure, Bong est parvenu à atteindre la quintessence d'un cinéma en puissance mondialement reconnu, une énorme baffe cinématographique comme on en voit tous les dix ans. Le mélodrame et les sous-entendus politiques ne sont pas le moins du monde altérés par l'aspect comique dégageant de l'histoire, et c'est suffisamment rare pour être souligné. Enfin la question se pose à moi: pourrais-je un jour me remettre de ce qui fut l'une des expériences de cinéma les plus extraordinaires que j'ai vécues ?!
Parasite est bien plus qu'un grand film: il s'agit de l'une des raisons pour laquelle le cinéma à été inventé.

Angeldelinfierno
10

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le 18 déc. 2020

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