La lutte des classes à hauteur d'homme

Parasite est un film de Bong Joon-ho dont l’ébauche avait débuté en 2013 durant le tournage de Snowpiercer, un autre film avec des thématiques similaires. L’idée du film est venue de l’expérience personnelle de son réalisateur, qui au début des années 2000 avait dû travailler comme professeur particulier dans une riche famille et il a essayé, à travers ce film de retranscrire ce sentiment de pénétrer leur intimité.


Sommairement, Parasite met donc en parallèle le destin de deux familles, la famille Kim, pauvre et vivant dans les bas-fonds de Séoul et la famille Park plutôt habituée aux beaux-quartiers et de leur rencontre à travers une relation employeur-employé. Les pauvres usent de manipulation afin d’infiltrer l’intimité des riches et inévitablement ce jeu de dupe se finira en un drame.


Autant le dire d’emblée, selon moi, Boon Jong-ho arrive parfaitement à créer une ambiance singulière à travers tout le film, nous mettant tour à tour en empathie avec les différents protagonistes, le tout avec une photographie soignée qui fourmille de détails. Toutefois, au-delà de cette maîtrise technique, Parasite arrive également à être profond sur son propos.


Comme le titre le fait comprendre, le réalisateur va tenter d’analyser à la loupe le phénomène de parasitisme entre être humains. Celui qui saute aux yeux, c’est évidemment le parasitisme de la famille pauvre qui est marqué dès le début du film par leur tentative de se servir du Wi-fi de leurs voisins et qui va se poursuivre durant tout le film jusqu’à l’intrusion dans la maison des Park à travers de multiples combines et la manière dont ils la salissent en une seule soirée. La métaphore va même au-delà, car quand les Park reviennent de manière impromptue, les Kim sont bien obligés de se cacher comme des cafards sous la table basse et dans le moindre recoin leur offrant de l’ombre.


Cette proximité avec le cafard est d’autant plus forte, car le salaire que les Park fournissent à la famille Kim semble inespéré, revêtir une grande importance alors que ce n’est qu’une somme triviale pour cette bourgeoisie. Un peu comme les insectes qui se repaissent des miettes humaines.


L’existence d’un personnage se cachant dans les fondements de la maison renforce cette idée. Toutefois, ce dernier ne semble pas accepter l’idée d’être un parasite et effectue chaque jour, une micro-tâche pour remercier Monsieur Park de lui permettre de vivre ainsi. Cette allégorie pourrait représenter le travail qu’effectue les classes moins aisées, invisible aux yeux des classes les plus hautes, mais dont ils jouissent sans même s’en rendre compte, mais également la volonté pour les classes défavorisées de se sentir utile.


De ce personnage et de la famille Kim naît un conflit comme si les parasites, bien loin de chercher à renverser l’ordre établi, préfère s’affronter afin d’obtenir l’exclusivité de l’hôte. De cette place, privilégie à leur côté naît donc une lutte, invisible, dont les riches n’ont même pas idée.


Toutefois, comme l’a déclaré le réalisateur, le parasitisme se retrouve également dans la famille plus fortunée. Cette dernière semble incapable de la moindre tâche et toutes les tâches de la famille sont assurés par des autres, par des domestiques, des professeurs particuliers, etc. On retrouve également ce parasitisme chez le mari, au moment où son nouveau chauffeur le rejoint dans la société et voit se succéder des dizaines de poste de travail où des hommes et des femmes travaillent tandis que monsieur Park en retire tous les lauriers.


De plus, ce parasitisme prend un sens particulier dans la réalisation de la fête où chacun des domestiques doit avoir un rôle pour garantir ce succès, qu’on voit leurs efforts pour réaliser ce projet et c’est finalement leur travail qui est récompensé à travers cette réussite, mais c’est la famille Park qui bénéficie du prestige, montrant parfaitement l’attribution du mérite par les classes aisées sur le travail réalisé par les plus pauvres. Les riches parasitent le travail des pauvres et s’en accaparent le prestige ou l’argent.


La distinction de ces deux formes de parasitisme s’accompagne d’une distinction de classe. On peut évidemment citer l’odeur de Kim Ki-taek, chef de la famille pauvre, qui incommode à plusieurs reprise les Park comme une marque indélébile de sa classe sociale. Dans la même idée, la mère de famille qui n’embauche que sur recommandations de son cercle social et non sur des capacités (que tous les Kim ont indépendamment de leur classe sociale) montrent cette volonté d’entre-soi, de cercle fermé des classes privilégiés. Ce carcan, qui verrouille l’accès à la richesse pour les plus démunis, semble être confirmé par les propos du réalisateur qui déclare que malgré ses efforts Ki-woo ne parviendra jamais à être riche.


Dans cette distinction, on retrouve également deux conceptions de la famille. La famille Kim apparaît régulièrement tous ensemble dans le même cadre, symbole de leur complicité, du lien qui les unis. A contrario, la famille Park n’est jamais ensemble dans le même plan, à une exception, dans leur photo de famille où ils posent dans un ersatz de réalité. De la même manière, Ki-taek remet régulièrement en question l’amour que monsieur Park porte à sa femme et qui n’est pas remis en question de manière virulente. Le coït de ce couple est d’ailleurs particulièrement froid, impersonnel où les deux parents ne croisent jamais leur regard.


De plus, cette distinction est également marquée par des éléments techniques. La verticalité évidemment avec la famille Kim vivant dans un appartement à moitié enterré tandis que les Park semblent dominer la ville de leur maison, mais aussi la notion d’espace. Les Kim semblent entasser dans l’image et évoluent dans des espaces exiguës tandis que les Park évoluent dans des environnements spacieux. La même comparaison peut-être apportée avec la lumière, une famille évoluant avec, l’autre étant régulièrement dans l’ombre.


De cette distinction née finalement la lutte finale où les riches, gardien de leur propre préservation, fuient devant le danger et laissent la famille pauvre se débrouiller avec sans intervenir. Pire même, ils éprouvent une profonde indifférence à l’égard de leur sort. Au-delà de la lutte des classes, le geste de Ki-taek est avant tout l’acte d’un être humain, doté de sensibilité et touché une fois de trop par ce mépris et cette humiliation.


À travers, ce film, Bong Joon-ho offre un excellent film d’un point de vue technique, mais qui n’est pas dénué de propos intelligible et intelligent. Comme pour Snowpiercer, le réalisateur renoue avec cette lutte des classes qui lui tient à cœur. Là où ce précédent film présentait un système et sa chute, Parasite décide d’être plus intimiste, d’être à hauteur d’homme, d’être plus humain.

IronBastard
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le 5 déc. 2020

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