Ben venidos a Mallorca - Para-seul

Une nouvelle fois, j'écris cette critique dans le seul but (devrais-je dire "espoir" ?) d'apporter une visibilité supplémentaire à ce petit film, qui a tout d'un grand.


Parasol est le premier long-métrage de Valery Rosier, réalisateur belge qui a d'ailleurs déjà obtenu plusieurs récompenses pour ses courts-métrages, notamment au FIFF et à Cannes.


La première scène du film donne à voir des touristes, bob et lunettes de soleil bien en place, photographiant des avions à l'aide de leur smartphones. Les "nouvelles technologies" font partie intégrante du film, comme une image de notre société contemporaine, toujours plus connectée, toujours plus rapide, ... et toujours plus individualiste, où chacun peut toujours se sentir extrêmement seul, isolé.
On est en Espagne, à Majorque, on voit des touristes, des plages, des palmiers, ... et trois personnages que l'on suivra durant (à peine plus d') une heure.


Le premier que l'on rencontre est Annie, septuagénaire belge qui, après avoir rencontré un certain André par internet, s'est envolée vers Majorque dans le but de le rejoindre et d'y vivre des jours heureux, ensemble. Il n'y aura pourtant qu'une soirée, qui ne sera d'ailleurs qu'évoquée, par le billet d'un échange de messages (qui ont de quoi faire sourire), mais André ne rappellera pas.


Le deuxième est ce jeune anglais, Alfie, un peu gringalet, parti en vacances avec ses parents au camping... Il n'est pas vraiment sûr de lui, plutôt réservé, sans doute un peu étouffé par ses parents... Voulant sortir de schéma il se retrouve dans un bar, et y fait une rencontre peu recommandable : une brute qui disant vouloir l'aider ne fera bien évidemment, que profiter de sa gentillesse et de sa naïveté.


Le troisième enfin, un habitant de Majorque, Pere, le conducteur du train touristique, répétant inlassablement les mêmes phrases à des passagers qui ne le comprennent probablement même pas. Père d'une jeune adolescente, divorcé, il tient évidemment à être le meilleur père possible, ce qui semble loin d'être gagné. Il n'a que peu de reconnaissance de celle-ci ou de son ex-femme.


Trois histoires, trois personne différentes, trois langues différentes, trois âges différents, trois "vacances" différentes : des vacances en famille, des vacances dans un hôtel genre "all-in", des vacances qui n'en sont pas tellement.


Je ne donnerai pas plus de précisions sur chacun d'eux, je ne crois pas que ce soit un film "à spoil", il n'y a pas de réel retournement de situation, mais les histoires se suivent si simplement et si agréablement, qu'il serait dommage d'en dire trop.


Parasol est intéressant car, contrairement à d'autre films qui mixent plusieurs histoires, celles-ci restent distinctes. Il ne s'agit pas de raconter trois fois le même récit mais de manière différente, ni de raconter trois histoires différentes qui au final lieraient trois personnages... Non, c'est simplement trois pans de vie, qui se déroulent au même lieu, au même instant, mais qui ne se croisent jamais.
On suit donc ces trois humains (il y a en effet un grand sentiment d'humanité qui se dégage du film), leur rencontres plus ou moins agréables, leur échecs, et leur volonté de remonter la pente... Il y a bien évidemment une trame commune, bien qu'elle soit traitée de manière différente : celle de la solitude, de la nostalgie, de la déception, des regrets, et donc de la recherche d'un avenir meilleur, de la recherche de soi-même, de l'espoir...


La photographie est vraiment belle, (avec un minuscule budget qui plus est), et avec de bonnes idées : toute la partie durant laquelle Alfie fait la connaissance de ses "amis" est filmée (ou donne l'impression de l'être) avec un smartphone, comme une évocation (par l'image brouillée et chancelante) de son état (d'esprit et d'ébriété). Ce n'est pas révolutionnaire, certes, mais c'est bien trouvé.


Il est aussi tout à fait intéressant de n'avoir fait que suggérer la présence de plusieurs personnages, pourtant centraux pour les intrigues : on ne verra jamais André (on parlera beaucoup de lui, on entendra sa voix, on lira ses messages, mais on ne le verra pas), ni la mère de Ahilen (on l'entendra également au téléphone, on l'entendra même arriver dans l'appartement, mais on ne la verra pas). Tels des fantômes d'un moment passé qui ne reviendra pas, on les évoque, on les entend, mais ils ne sont pas là physiquement.


La bande-son est elle aussi un petit bijou, qu'il s'agisse des musiques (je veux trouver cette BO) ou bien du son (et du silence !) en lui-même. Tout est dosé très justement, afin de faire ressentir au mieux les émotions. Le silence entre quelques phrases de dialogues, le clapotis des vagues,...


C'est sans grande surprise que l'on peut lire que Valery Rosier n'aime pas trop l'été : "Tout le monde est en vacances donc on ne peut appeler personne... Il y a un sentiment de solitude" °.


Parasol est donc un "petit" film, mais un très beau film qui mérite d'être vu, recommandé, apprécié et soutenu**. Bien que belge, le film se détache, selon moi, d'une certaine tradition cinématographique belge francophone, dans laquelle on retrouve des récits sociaux un peu misérabilistes (coucou les Frères Dardenne) ou des vues de paysages désolés et des humains perdus (coucou Bouli Lanners). On retrouve tout de même cette thématique de la perte, de la solitude... mais traitée d'une manière innovante. On en ressort "contents", ou plutôt sereins. Il y a comme une joyeuse tristesse, un sentiment d'espoir, qui transparait : des personnages heureux dans une univers triste, ou inversement.


° (citation extraite d'une interview parue dans le journal le Soir)


** Le casting est constitué à 100% d'amateurs

Créée

le 24 févr. 2016

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Anyore

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