L'été cinématographique contribue à mettre de nouveau à l'écran des films qui ont marqué l'histoire du cinéma. A travers des versions originales ou remasterisées, nous avons l'occasion de voir ou de revoir ces histoires qui ont marqué tant de cinéphiles avant nous, ou de se remémorer des émotions passées. Ces derniers jours, le Majestic de Lille donne l'occasion de visionner sur grand écran l'un des chefs d'oeuvre du 20ème siècle: "Paris, Texas", oeuvre marquante du réalisateur allemand Wim Wenders.


Alors que je dispose de ce film depuis des années, je n'ai jamais pris le temps de le regarder: occupé, manque d'envie, d'autres priorités, que sais-je encore ?! C'est l'envie de passer un samedi loin des gens qui me pousse à assister à cette projection ce soir, à découvrir ce film avec à peine 5-6 personnes dans la salle, donnant l'impression d'un visionnage privé. Et je ne regrette pas d'avoir tant attendu avant de voir ce film. C'était sans doute le bon moment, j'en reste encore tremblant, en écrivant, encore marqué par la beauté de cette oeuvre, par l'écriture, par l'image, par l'esthétique, par les acteurs, par la réalisation, par tout ce que Wenders a construit.


On ne peut pas dire que j'ai eu l'occasion d'aller plus loin dans la filmographie du réalisateur, me contentant du Sel de la Terre, je ne jugerai donc pas l'oeuvre dans sa globalité, son intégration dans un travail de réalisateur plus large, que je ne saurai retranscrire ici. Il n'est jamais évident d'analyser un film, de prendre du recul, de livrer son impression, d'autant plus quand on ne souhaite écrire que des louanges, quand nous pêchons à trouver le moindre défaut, la moindre note négative à y opposer.


Wim Wenders nous livre ici un film magistral, sorte de fresque du Texas américain, de l'amour, et du temps perdu et retrouvé. A travers le personnage de Travis, interprété par Harry Dean Stanton, acteur au visage marqué, à la voix qui s'instille en vous, Wenders conte l'histoire d'un individu perdu, silencieux, qui vagabonde dans le désert texan, cherchant à assouvir ses besoins primaires. On ne sait rien de lui, on passe les premières 20 minutes à marcher avec lui, à tenter de comprendre sa présence. Mais très vite, on se laisse porter par l'histoire qui défile devant nos yeux, on ne cherche plus, on nous trouve quand Travis prononce enfin quelques mots. On en sait plus sur lui, sur son départ quatre ans plus tôt, sur son fils élevé par son frère et sa compagne, sur la mère de son enfant, elle aussi partie depuis quatre ans.


Ce film aborde une multitude de thématiques qui ont pour points communs de narrer la peur et la crainte de la vie, du couple, de la famille, de l'abandon. S'abandonner à l'autre et de l'autre, se chercher, se remettre en question. Ce film existentiel aborde une réflexion sur nos âmes errantes, sur nos âmes solitaires, sur ce vide, ce manque, que nous éprouvons tous à un moment ou à un autre dans notre vie. On cherche tous à le combler, par l'amour, par la filiation, par l'écriture, par le travail, par la fuite. Les personnages de Wenders y aspirent, ils paraissent si seuls, à la recherche de pansements pour continuer à errer sur terre.


Le choix du Texas résonne parfaitement avec cette idée d'errance, le désert, le soleil, la poussière, la solitude. Une réalisation tout en contemplation, avec distance, qui laisse les personnages dans leurs questionnements, qui laisse les acteurs donner de leur personne, qui leur donne l'opportunité de s'exprimer, d'habiter leurs personnages respectifs. Couplé à une écriture multipliant l'expression des sentiments, on arrive à la construction de deux des monologues les plus marquants que j'ai eu l'occasion de visionner, d'entendre.


Les vingt dernières minutes nous laissent à l'écoute, on s'arrête de bouger, de tourner la tête, de bouger les mains, on se rapproche de l'écran, on reste pantois, bouche bée devant le couple Harry Dean Stanton - Nastassja Kinski, s'exprimant tour à tour, livrant ce qu'ils gardaient en eux depuis tant d'années, sans jamais pouvoir le dire à l'autre, à qui que ce soit, et qui, en disant ces quelques mots, retrouvent pied, se libèrent.


Ils "se libèrent", nous un peu moins. Ils nous marquent, nous touchent.

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le 31 juil. 2016

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Panda Bear

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