Il y a des douleurs dont on ne peut pas parler, et c'est bien de celles-là que le visage de Travis semble exprimer. Et si notre personnage principal sort du mutisme du début du film, la communication se fait toujours de manière indirecte ; par le biais de téléphones, de messages enregistrés, à travers des vitres plus ou moins opaques.
Il me semble que c'est de cette façon que s'exprime la peur profonde de Travis : celle de voir les autres tels qu'ils sont et de les laisser le voir tel qu'il est. En effet, s'il y a bien un thème qui tient ce film, et qui se reflète dans l'anecdote/synecdoque qui lui donne son titre, c'est celui des mythes, des représentations que l'on construit des autres et de soi-même. Ainsi, le film joue constamment sur les miroirs, sur des images faussées et pourtant nécessaires. Un exemple évident est le film de vacances , qui donne une représentation heureuse d'une famille pourtant sur le point d'éclater.
De même, on peut évoquer la scène où Travis tente de s'habiller en père, revêtant, au-delà des habits, un rôle. On peut ici penser à la métaphore de Goffman qui fait des interactions sociales autant de scènes de théâtre, et qui demandent donc, pour être crédibles, que chacun tienne son rôle et aide les autres à le tenir ; ce qui est drôle et touchant ici est d'en voir les coulisses.
Travis, à mon sens, est un homme qui a vu les représentations qui formaient sa vie éclater ; traumatisé, il ne peut plus s'astreindre à rentrer dans un rôle, à croire à ces nécessaires illusions ; mais il ne peut pas non plus affronter la réalité nue. Que reste-t'il alors ?
(le désert)