Wim Wenders à la barre, "Paris, Texas" avait l'avantage de partir gagnant pour un road movie de qualité. Oui, Wenders accompagne une mise en scène au cordeau (et pas que !) mais qui ne tient pas la durée du film. Non pas que le rythme s’essouffle mais le niveau qu'essaye de trouver le réalisateur allemand n'est jamais atteint. De fait, on reste sur un très bon road movie classique mais qui n'a pas l'art de faire ressortir de plein fouet la magnificence d'un Wenders dont j'avais entendu bien des louanges. Aussi, "Paris, Texas", ma quatrième incursion cannoise du moment, était ma première expérience Wenders. A cause d'une aura certes méritée, mes attentes programmées n'ont pas été atteintes. Tel est l'enjeu auquel je me suis bien volontiers accordé. Scénario de "Paris, Texas" : un homme surgissant de nulle part se fait hospitaliser. Après quatre ans d'absence, son frère va tenter de le ramener à la vraie vie car auparavant l'homme tourmenté avait femme et enfant. Une fois le lien renoué entre l'ex-disparu et le fils, une quête va les emmener encore plus loin... . Bénéficiant d'un Sam Shepard sans fard et sans concession pour l'écriture (plus connu comme ayant joué dans "Les moissons du ciel", "L'étoffe des héros" ou dans le plus récent "Mud", il est aussi un dramaturge confirmé), Wenders organise à sa façon le road movie à l'américaine étant donné qu'il s'agit pour lui de son premier métrage tourné sur les terres de l'Oncle Sam. Premier film américain pour Wenders donc qui apporte une patte européenne. La quête de l’identité, brillamment mise en scène, vue au travers des différents personnages renvoie à la satire féroce à l'italienne (tel le Vittorio incarné par Gassman dans "Parfum de femmes"). De même, l'histoire que Wenders nous raconte pourrait être celle d'un homme fuyant le régime d'Allemagne de l'Est : en cela, le réalisateur des "Ailes du désir" ancre dans "Paris, Texas" ses souvenirs de jeunesse (je suppose). Toujours pour parler scénario, l'apparition des personnages, également très bien filmés par le metteur en scène, se fait par électro-choc. La manière dont chacun apparaît est différente et nous permet de se sentir avec eux comme l'avait fait Verneuil pour ses polars à la française (je pense bien sûr à "Mélodie en sous-sol", au "Clan des siciliens" et à "Un singe en hiver" : pour les rencontres inopinées entre briscard et jeunes loups). Maintenant, examinons la mise en scène dont j'ai déjà donné quelques points. Filmé à l'européenne, on saupoudre à la sauce américaine, et l'on obtient un Wim Wenders cru, sauvage et fragile. Comment prend forme ce road movie ? Attardons nous sur la première séquence du film pour y répondre. Une fois le générique passé, Wim nous accorde un plan d'ensemble sur un paysage d'une aridité extrême : le désert de Mojave (en passant, la photo est magnifique sur l'ensemble du métrage : c'est Robby Müller, collaborateur fétiche de Wenders, qui est à l’œuvre. Il a également travaillé pour Schatzberg et Jarmush). Bim ! Une seconde plus tard, toujours en plein désert, un accord de guitare bluesy (de Ry Cooder, compositeur attitré de Walter Hill : "Johnny belle gueule", "Dernier recours"...), bam ! Le blues continue et, d'un coup, gros plan sur le visage figé de Harry Dean Stanton, l'homme solitaire, pour un entre-aperçu complètement anarchique. Boum ! Le tout embaumé de la mise en scène de Wenders. Badam !... La glace est brisée, nette. D'une fraîcheur intense, "Paris, Texas" apporte un souffle nouveau à ce genre de films, cantonné au classique américain "Easy rider", véritable phénomène de société en son temps. Variation de tonus également pour l'ensemble du casting, international. Un Dean Stanton très bon dans le rôle de l'homme paumé (éternel second qui a su s'imposer au fil du temps ("Alien", "La mort en direct"...)), Nastassja Kinski emmitouflé dans son pull rose apporte une beauté fragile incandescente ("Tess" lui a ouvert les portes de la gloire), le couple Dean Stockwell ("Blue velvet")-Aurore Clément (la rescapée de "Apocalypse now" Redux) est parfait, et le jeune Hunter Carson (connu pour ce rôle d'enfant abandonné) forme avec Dean Stanton une relation père/fils troublante à souhait. Un casting béton donc dominé par un Harry Dean Stanton au top, dans l'un de ses meilleurs rôles. Bingo ! Alors oui, "Paris, Texas" fait peau neuve dans le road-movie (voir mes explications plus haut), mais l'on ne peut s'empêcher de penser à "Rain man" au commencement du film, sorti cinq ans plus tard. L’anti-duo Stockwell/Dean Stanton interpelle et l'on peut supposer que Levinson s'en est servi pour le jeu d'acteurs époustouflant Cruise/Hoffman. Après, concernant le cheminement de l'histoire (et donc de l'homme égaré par la vie), le métrage de Wenders m'a évoqué "Thelma & Louise" par son ambiance électrique (rythme et musique) et onirique (la fin d'un rêve). "Rain man" "Thelma & Louise" = "Paris, Texas" ? Sans doute, mais il manquerait la patte d'un réalisateur ayant eu un pied à terre en Europe pour parvenir à procurer un style classique que Ridley ou Barry n'ont pas (pour les films cités en tout cas). Pour conclure, "Paris, Texas" (1984) est bien un chef d’œuvre atypique de Wim Wenders pour la mise en abime des personnages. Il en résulte également des scènes cultes : l'apparition d'Harry Dean Stanton, son monologue, les courtes apparitions de Nastassja en pull rouge. Une p'tite cure de blues amis spectateurs ? Si oui, direction... le désert de Mojave !