Paris est à nous
3.8
Paris est à nous

Film VOD (vidéo à la demande) de Elisabeth Vogler (2019)

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Joli et fragile projet que ce film : sortir, sans budget, filmer la ville, sans autorisations, faire avec Paris qui s’offre au regard, en arrière-plan d’une histoire qui se construit à son contact.
Paris est à eux : cette jeunesse pleine d’élan qui se lance, passe par le crowdfunding, s’incruste sur Netflix, et propose un cinéma qui chante avec une tristesse rageuse l’air du temps.


Bien entendu, des maladresses affleurent, comme certaines séquences en roue libre dont on peine un peu à déterminer la réelle maîtrise ou l’intrication dans une structure réfléchie. De la même manière, certains emprunts sont encore un peu trop marqués, au premier rang desquels on notera l’influence déterminante de Terrence Malick : même saisie sur le vif de moments authentiques d’un couple, une similaire mélancolie distanciée et contemplative, et jusqu’à la mise au second plan des voix in par rapport à la musique, ou le recours aux voix off pour un discours philosophique qui enrichirait la spontanéité des images. Un interlude récurrent dans un théâtre convoque quant à lui pas mal le Silencio lynchien, et cette image d’une femme glamour en proie à ses cauchemars sous un lustre graphique. Gaspard Noé, enfin, avec ses caméras à l’envers (pour des effets assez jolis d’ombres sur la chaussée) et ses acteurs en impro pas toujours réjouissante. L’aspect expérimental accuse certaines baisses de régime, vire à la sur-explicitation (cette vision sur la fin d’une régie avec tous les écrans et ce témoignage qui semble se faire sur un plateau télé) et brise par instant la dynamique qui, la plupart du temps, fonctionne dans ce kaléidoscope d’errances élégiaques.


Car force est de reconnaître que le film est esthétiquement réussi : par ces flashs lumineux d’ambiances technoïdes aux visions de la ville, par ces brèves incursions de la nature où la lumière dorée du soleil panse les plaies du présent, le collectif Elisabeth Vogler soigne sa photo et ses mouvements d’appareil, et s’embarque dans une virée qui étonne surtout par sa stabilité. Si le montage est violent, les propos volontairement confus, la ville malmenée, la beauté les rattrape au fil de ces plans-séquences d’une fluidité sans faille, de courses qui captent une pulsation qui existe en dehors d’elle et dont le projet se nourrit continuellement.


L’autre point d’équilibre singulier provient de cette cohabitation entre le verbal et l’indicible. Au cœur du sujet, Anna, que son amour naissant critique pour sa passivité et son manque d’ambition, et qui va progressivement prendre la parole pour faire un état du monde générationnel. En off, des déclarations de plus en plus affirmatives, tandis que l’image accumule les prises de vue – clandestines, donc – d’une ville martyrisée (les manifs, les attentats, les CRS partout, les rues vidées et barricadées) mais vivante.


Le montage, essentiel et probablement dantesque au vu de la durée du tournage et des rushes captées à la volée, a la sagesse de faire dans la densité, pour se resserrer sur 80 minutes, et trouve une réelle cohérence.


La révolte de la jeunesse n’a ici pas d’objet, si ce n’est que le personnage se sent sur les rails d’un monde qui court à sa perte, à l’image de cette antienne métaphorique du crash d’un avion qu’elle aurait dû prendre. Pas d’idéologie, pas d’engagement, pas de réelle colère, non plus, mais la masse presque morte d’une ville-monde en héritage.


Alors on danse : cette esthétique du clip, qui irrite si souvent, prend ici un nouveau sens : c’est un maelstrom synesthésique dans lequel les élans de vie s’emparent du chaos, de la mort et des fumigènes, font de l’amour défunt un interlocuteur privilégié.
« Même si demain tout s’effondre. On allumera un feu et on se réchauffera avec les débris de leur monde. Ce sera notre lumière ».


Le cinéma, monde fermé, sélectif, coûteux, élitiste, est à l’image de Paris : difficile à conquérir, mais riche de promesses. Et la jeunesse insolente d’Elisabeth Vogler le gifle à renfort d’étincelles qui le colorent d’une vibration peut-être éphémère, mais nouvelle.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 25 févr. 2019

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Sergent_Pepper

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