Almodovar décide de dévoiler son film par l‘image de deux spectateurs, voisins et émus : l’un – Marco – par le spectacle qui résonne dans ses souvenirs, l’autre – Benigno – par les larmes de Marco, le renvoyant à sa solitude, celle qui le cloue à son siège d’éternel spectateur de la vie des autres. Et c'est ce spectateur sensible et poignant qu'Almodovar met au centre de sa fable.

Il dessine alors Benigno, un superbe personnage, transfigurant le mélodrame du film en une poignante déclaration d’amour à l’art et à la vie, à travers le lyrisme fragile de son regard - comme soufflé de verre par la lente asphyxie d’une vie esseulée - regardant vivre le monde comme on regarderait une œuvre d’art. La vie d’Alicia devient une danse épiée au travers de sa fenêtre, son corps une statue de porcelaine fragile qu’il entretient avec amour et délicatesse, Marco un carnet de voyage dans la mémoire et les amours éteintes.

Évoluant dans ce spectacle vivant des destinées humaines, Benigno, le spectateur amoureux, traverse l’écran pour redonner parole au mutisme contraint de ses amours, au corps silencieux d’Alicia, au passé douloureux de Marco, et aux sentiments interdits. Et de l’autre côté de l’écran, de l’autre côté de sa fenêtre, de l’autre côté du corps, Benigno ne peut que se heurter aux drames, et les provoquer peut-être, condamné - par la vie et par une société cruelle, qui ne pardonne aucune différence - à n’être qu’un spectateur de la vie, et puni d’avoir voulu vivre, d'avoir voulu aimer. Cette toile, de verre ou de chair, une fois franchi, point de retour possible de l'autre côté pour Benigno : il laisse Marco en pleurs derrière l’écran, à son tour spectateur du drame de son ami.

Parle avec elle est une bouleversante histoire d’amitié, d’amour presque, entre ces deux héros, une terrible peinture de cette tragédie d’être seul, ensoleillée par la présence chaleureuse de deux astres féminins, semblant redéfinir l’alternance des jours et des nuits du monde amoureux, ponctuée par la grâce émouvante et triste de spectacles, comme cet hommage magnifique à L'Homme qui rétrécit .
Omael
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le 21 avr. 2014

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Omael

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