Pas son genre par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est une bien mauvaise surprise qui attend Clément, un jeune prof de philosophie issu d'un milieu aisé. Nommé à Arras, il va devoir quitter Paris et ses fastes. Malgré l'accueil chaleureux d'une collègue enseignante, Arras lui semble bien triste. Tout bascule lorsque l'envie lui vient d'aller chez le coiffeur. C'est Jennifer qui va le coiffer et dès lors Clément ne pense qu'à la revoir. La jeune femme qui élève seule son petit garçon va s'éprendre du jeune professeur malgré leur différence à appréhender un certain nombre de sujets. Un prof de philo et une coiffeuse peuvent-ils envisager un avenir durable dans une vie à deux ? Telle est la question...


Une réplique m'a particulièrement marqué en début de film lorsque Jennifer s'adresse à Clément qu'elle ne connaît pas encore bien: " Vous êtes professeur de philosophie, moi je suis coiffeuse !". Dès lors on peut se poser des questions sur la nature de la relation que les deux jeunes gens vont vivre. Il est vrai que tout les sépare au premier abord. Clément est en plein dans ses certitudes et incertitudes. Il est vrai que le jeune homme est plongé dans la recherche d'un idéal dont il ne parvient jamais à se satisfaire. Sa personnalité est de plus façonnée par son environnement familial élitiste et bourgeois des beaux quartiers de Paris. Chez Clément cette culture en milieu favorisé reste encrée en lui à tel point que rejoindre Arras est pour lui une épreuve presque insurmontable comme quoi être philosophe a ses limites. Il porte ses connaissances comme un poids énorme, entravant aussi bien ses prises de décisions que la netteté de ses avis voire ses relations sentimentales. N'a t-il pas déclaré à une amie parisienne à l'issue d'une rupture : "je ne crois pas au couple."
On change carrément de personnalité lorsque l'on se tourne vers la jeune coiffeuse. Nous trouvons une femme rayonnante, joyeuse et très active. Les copines de son salon, la chanson et le karaoké, sans oublier son petit garçon dont elle à la garde, sont ses passions. A la philosophie s'oppose ici le bon sens, la joie des plaisirs simples et pourtant Jennifer a dû surmonter des épreuves relationnelles, les aventures infructueuses s'arrêtant à un simples "plan cul" selon ses termes. Arras est sa ville, elle s'en contente à juste titre. Ce lieu ne l'empêche aucunement de trouver du bonheur dans son travail. Elle est heureuse de pouvoir donner aux clients une autre vision d'eux-mêmes après une coupe. Clément est réservé, secret, Jennifer respire la joie de vivre et préfèrera toujours ses beaux romans d'amour à la philo.
Il est donc bien difficile de vivre une existence équilibrée lorsque de telles barrières sociales et culturelles vous séparent. Le professeur cache à Jennifer la parution d'un livre écrit de sa main, il n'ose, en plein carnaval, la présenter à une collègue professeur, la fête est gâchée, la différence éclate en plein jour.


Bien sûr, pour porter un tel sujet au cinéma, il faut être un réalisateur talentueux, très méticuleux, très humain mais aussi très épris de ses personnages. Je dois avouer que Lucas Belvaux est l'homme de la situation. Les différentes scènes de cette œuvre s'enchevêtrent tel un savant mécanisme pour nous faire ressortir d'une façon stupéfiante cette histoire d'amour impossible. A n'en pas douter ce film interpelle, émeut et captive. Pour parfaire ce sujet délicat à traiter, le réalisateur s'est entouré de deux remarquables comédiens. Je suis encore stupéfait par la fantastique interprétation d’Emilie Dequenne. Elle ne joue pas Jennifer, ce personnage enthousiaste et rayonnant, elle le vit et déjà, grâce à son immense talent, ce film doit être vu. De son côté Loïc Corbery est tout a fait le personnage opposé mais avec autant de qualité. Bien sûr il nous brosse un portrait d'un homme assez renfermé, presque mal à l'aise parfois, indécis et perdu dans ses pensées qui s'entrecroisent sans cesse dans sa tête. Je ne veux surtout pas oublier Cathy et Nolwenn, les deux inséparables copines de Jennifer, pleines de joie de vivre, interprétées par Nkaké et Charlotte Talpaert ni Anne Coesens pour sa classe et sa sobriété dans le rôle d' Hélène Pasquier-Legrand, la collègue de Clément.


Ne manquez surtout pas ce très beau film de Lucas Belvaux qui nous livre ce face à face d'un réalisme absolu dans lequel chaque scène a son importance entre Jennifer, croquant la vie à pleines dents, et Clément, un homme prisonnier de ses incertitudes. Avant d'en terminer je veux vous signaler une fin en forme d'apothéose avec le fameux tube de Gloria Gaynor : "I will survive" (Je revivrai), chanté par une Jennifer absolument bouleversante.


Quelle scène !
https://www.youtube.com/watch?v=GrXcGuomwco


Autre critique de film réalisé par Lucas Belbaux à votre disposition :
- "La raison du plus faible" : http://www.senscritique.com/film/La_Raison_du_plus_faible/critique/23514150

Grard-Rocher
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les très bons films., Cinéma : Entrez dans le monde de la comédie dramatique. et Cinéma : Entrez dans le monde de la romance.

Créée

le 8 avr. 2015

Critique lue 1.7K fois

26 j'aime

28 commentaires

Critique lue 1.7K fois

26
28

D'autres avis sur Pas son genre

Pas son genre
Rawi
7

Bonheur triste

Je suis Lucas Belvaux depuis un bon moment et j'apprécie sa fibre humaniste, son regard aiguisé sur la société et sa manière d'en tirer partie. En apprenant qu'il allait nous réaliser une "comédie...

Par

le 12 juin 2014

46 j'aime

10

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5

Pas son genre
Sabri_Collignon
7

La Tristesse vient de la Solitude du Coeur!

Lucas Belvaux,réalisateur belge chevronné et engagé,est connu pour sa dénonciation farouche des inégalités sociales et sa propension à contester l'ordre établi.Ses chroniques dépeignent souvent des...

le 4 mai 2014

30 j'aime

14

Du même critique

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

176 j'aime

68

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

166 j'aime

35

Pierrot le Fou
Grard-Rocher
9

Critique de Pierrot le Fou par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Ferdinand Griffon est entré malgré lui dans le milieu bourgeois par son épouse avec laquelle il vit sans grand enthousiasme. Sa vie brusquement bascule lorsqu'il rencontre au cours d'une réception...

156 j'aime

47