Entre drame de qualité et boum-boum sans intérêt

Avec sa bande-annonce aux airs de pub Gucci et ses deux bôgosses aux beaux cheveux qui sentent sans doute très bon, Passengers ressemblait plus à une romcom mâtinée de SF pour étendre son public-cible et affublée d'un semblant d'intrigue pour tenir sa durée, plus intéressée par la prestance capillaire de ses acteurs que par sa propre histoire… de quoi, au juste ? De couple coincé dans un gigantesque vaisseau spatial. Pas qu'on soit réfractaire au minimalisme ; juste que là, ça faisait un peu léger, et les péripéties téléphonées entrevues dans la BA n'auguraient pas du meilleur – à raison, nous le verrons plus bas. Par ailleurs, rien n'était gagné avec le couple aux beaux cheveux : tout sympathique qu'il soit, Chris Pratt n'a (toujours) pas la carrure pour sauver un film (cf. le désastreux Les 7 Mercenaires d'Antoine Fuqua, alors qu'il était au côté de Denzel !), et toute mignonne qu'elle soit, J-Law et ses joues de hamster ne sont pas synonymes de qualité (voir, rien que ces quatre dernières années, les immondices milliardaires X-Men Apocalypse et Hunger Games 3a et 3b, les plantages d'auteurs Serena et Joy, le nanar d'horreur La Maison au bout de la rue… fifille constituant par-dessus le marché le maillon faible d'American Hustle, le seul film un minimum réussi de sa filmo depuis The Silver Ligning Playbook). Autant dire que nous y allions à reculons.


Et il se trouve que nous avions à moitié tort, car sans être vraiment réussi, Passengers s'est révélé bien moins vide que prévu. Cette heureuse surprise tient essentiellement à son étonnante substance, qu'elle doit au geste fondateur de son personnage principal Jim : sa décision fort contestable, pour supporter la solitude, de réveiller de son cryo-sommeil une minette, la condamnant ainsi à passer, comme lui, le restant de ces jours coincée dans un putain de vaisseau spatial. La plupart des gens s'attendaient à ce que Jim et Aurora se réveillent ensemble ; nous donnerons à la BA un bon point pour ne rien avoir révélé de cet élément scénaristique.


D'autant plus qu'il est salutaire : Passengers n'est pas le genre de film qui brille par sa mise en scène, ici extrêmement conventionnelle, ou par la qualité de ses dialogues, ici accessibles à un maximum de spectateurs, et de jolis effets spéciaux ne peuvent transformer l'eau en vin ; autant dire que le dilemme moral et la tension dramatique découlant de l'acte de Jim FONT littéralement son intérêt. Qui s'attendrait à ce qu'un pareil produit de grande consommation, ouvert aux collégiens, sortant entre les fêtes, orienté romance et action, puisse solliciter tant de nos neurones ? Pas grand monde. Très rapidement, on se plait à enfiler les bottes du pauvre Jim et à se demander si l'on prendrait la même décision que lui, dans la même situation. Et si ce n'est pas le cas, à se demander au moins si sa décision est à 100% condamnable, ou à 50, ou à 25... Certains spectateurs allant jusqu'à considérer sa relation à Aurora comme un combo de kidnapping et de viol. Certes, l'Interweb regorge d'hystériques, mais cette position radicale en est-elle pour autant dénuée d'intérêt ? En gros, Passengers fonctionne. Du moins... dans ses deux premiers actes. Son premier, sorte de Seul au monde dans l'espace, étonne par le jeu très juste de Chris Pratt (qui n'est pas Harrison Ford, mais a quand même un sacré potentiel), la substance métaphysique susmentionnée, son minimalisme, et la gravité de son ton (une tentative de suicide, quand même). Son second, qui démarre avec le réveil d'Aurora, s'avère assez divertissant après des débuts un peu cahoteux où la chtite J-Law ne semble pas au niveau de ce qui a précédé : une fois le couple formé, cet acte jouit du charisme d'un duo qui finit par se trouver, sur un ton humoristique très plaisant, et compose par ailleurs une jolie métaphore de l'isolement interne au couple vis-à-vis du reste du monde : Jim n'a qu'Aurora et Aurora n'a que Jim, mais au fond, n'en est-il pas de même dans tout couple, du moins à ses débuts ? C'est candide, mais pertinent.


Le problème est que ne tarde pas à tomber le troisième acte, qui marque la disparition de tout enjeu dramatique digne de ce nom, puisque de tout suspense, puisque de tout signe d'originalité. [Spoiler alert !] Bien qu'appréciant les charmants roucoulements du couple Pratt/Lawrence, on SAIT qu'Aurora finira par apprendre tant ou tard la terrible vérité (on devine même comment, avec le personnage pas super convaincant de l'androïde-barman gaffeur), on SAIT qu'elle va plutôt mal le prendre, on SAIT que le couple aura besoin d'une péripétie plus ou moins téléphonée pour se rabibocher à la fin, et en parlant de ça, on SAIT que tout finira pour le mieux dans le meilleur des mondes. [spoiler /off] Si le point de départ intimiste et l'étonnante substance dramatique de Passengers ont fait oublier pendant un temps sa nature de produit hollywoodien consensuel et formaté (en gros, c'est pas du Tarkovski, ce à quoi certains nous répondront « sans déconner, René ? »), cette prévisibilité saute aux yeux dans ce troisième acte qui a une gueule de déjà vu atrocement irritante. Les jolis meubles du chef décorateur Guy Hendrix Dyas (qui a travaillé avec Chris Nolan sur Inception) ne sont pas vraiment sauvés par la mise en scène sans relief de Morten Tyldum, qui avait déjà témoigné d'un certain manque de caractère dans son précédent film, l'archi-académique Imitation Game – ce qui est bien dommage car son Headhunters avait une certaine gueule... énième cas de réalisateur indé étranger émasculé par la grosse machinerie américaine ? Au bout d'un moment, on se demande combien de plans du vaisseau spatial le gars va bien nous pondre en tout, comme si c'était devenu un challenge en post-production, ou quelque chose dans le genre. Et puisque l'on parle de la forme, il serait bon que la profession mette Thomas Newman à la retraite : sa bonne époque, qui est allée des Évadés, en 1995, aux Sentiers de la Perdition, en 2002, est finie depuis quinze ans, et comme James Horner, il fait désormais toujours la même chose.


Plein d'espérance malgré tout, et toujours sous l'effet du premier acte, le pop-corneur naïf s'attend à ce que la seconde intrigue du film, le pourquoi du comment de ce bordel, relance notre intérêt : la compagnie est-elle responsable du réveil de Jim ? Ou bien est-ce un vil saboteur aux intentions métaphysico-démoniaques, comme le Pinbacker de Sunshine ? [Spoiler alert !] Peine perdue, on n'aura droit qu'à une idiote histoire d'avarie sans aucune valeur dramatique, purement utilitaire, rappelant les péripéties à deux balles de l'atroce Mission to Mars de Brian de Palma, et à une de ces fins hollywoodiennes que l'on subit un peu trop souvent, ces dernières années : du boum-boum sur fond vert dénué du moindre intérêt (en gros, on se tape un peu de comment ça va se régler). Le film sombre dans l'antithèse de ses débuts, c'est-à-dire un spectaculaire creux et lassant, qui atteint son apogée dans une scène de résurrection avec suspense en plastique comme on en a vu mille fois par le passé – QUAND vont-ils arrêter avec ce truc ? On le savait, que tout se finirait pour le mieux dans le meilleur des mondes (clos) ! Un dénouement du niveau des prémices aurait été, par exemple, que Jim meure et lègue à Aurora le choix impossible qui l'a tant torturé. D'aucuns répondront qu'il ne fallait pas attendre autre chose de la part du scénariste de Prometheus. À la fin de Passengers, on est content pour le couple de gentils héros aux beaux cheveux, mais ça ne nous fait plus vraiment ni chaud, ni froid, d'autant plus que toute sympathique fût-elle, J-Law n'est pas capable de transformer l'eau en vin. Emily Blunt, attachée au projet avant elle, aurait probablement rendu bien plus tolérable cette fadeur comme elle l'a déjà fait à quelques reprises par le passé (L'Agence, Wolfman…).


Face à cette débandade que l'on aurait jamais dû cesser d'anticiper, les plus tolérants se rabattront sur les bonnes impressions des deux premiers tiers de l'histoire (deux tiers sympas, c'est déjà pas mal, ne crachons pas dans le sachet de frites), ou encore sur le bonus très cool nommé Lawrence Fishburne, sans qui le dernier tiers aurait été d'un ennui VRAIMENT mortel. Les moins tolérants, eux, y trouveront autant de raisons de ne pardonner au film aucune de ses grosses ficelles, comme le fait de ne donner qu'UN médi-doc au vaisseau-monde (WTF !?), ni aucune de ses incohérences, à commencer par l'androïde-barman précité, joué du mieux qu'il peut par un Michael Sheen en mode parodique du Lloyd de Shining, mais quand même improbablement con pour une IA conçue à une époque si avancée. Comme souvent avec l'entertainment hollywoodien qui ne casse pas trois pattes à un canard mais ne commet pas non plus le crime de souiller une saga ou de remaker en mal un film-culte, nous nous montrerons tolérants. Passengers est un énième rappel d'un des maux endémiques qui minent ce cinéma : la fin bien trop pépère pour être réussie. Mais il n'est pas un plantage insignifiant comme Perdus dans l'espace (quelqu'un se souvient-il de ce truc ?) ni un gâchis monumental comme le précité Mission to Mars. Et malgré ses défauts, il apporte sa très modeste pierre à ce que certains voient déjà comme le nouvel âge d'or du cinéma de SF (Gravity en 2013, Interstellar en 2014, Seul sur Mars en 2015, Premier Contact en 2016...).

ScaarAlexander
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le 4 janv. 2017

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