Twin Peaks
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Le chauffeur de bus Paterson assure la ligne Paterson dans la ville de Paterson
Pour être honnête, je suis allée voir Paterson avec un peu d’appréhension. Car ma relation au cinéma de Jim Jarmusch est autant faite d’admiration (le touchant Broken Flowers) que de rejet (la prétention de Only Lovers Left Alive). Partant donc avec le moins d’a priori possible, je suis allée m’affaler dans une salle obscure, en bonne compagnie, un dimanche soir à pas d’heure.
Force est de constater que le film a fonctionné sur moi. Je ne sais pas pour les autres, mais une semaine plus tard, j’y pense tous les jours.
En me lavant les dents
en épluchant les patates
en allant encore chercher le courrier en robe de chambre le dimanche matin
en prenant le bus
en cherchant une station sur la radio
en faisant craquer la tranche d’un vieux livre
Je repense aux discussions des passagers du bus de Paterson, volées au détour d’un trajet, absurdes,
touchantes, quotidiennes, drôles.
Aux cercles obnubilants de l’aérienne Laura.
Au rire de Paterson qui jaillit devant les propos et les situations incongrus de la vie ordinaire.
À la grosse voix sage de Doc qui couvre d’un œil affectueux son mur des célébrités de la ville.
Au poème que la fillette lit à Paterson comme un cadeau.
À la lumière d’automne qui rebondit sur la cascade.
Aux façades de briques rouges et aux quartiers un peu décrépis d’une jolie ville commune.
À la boîte à déjeuner de Paterson, amoureusement préparée par Laura, pleine de couleurs
et d’un petit quelque chose tendre et différent chaque jour.
À tous ces jumeaux et jumelles que l’on repère étrangement après en avoir parlé une fois
Comme je repère maintenant le nom de William Carlos Williams, découvert grâce au film
Croisé depuis deux fois dans des lectures sans rapport.
Foin de retournements fantasmagoriques, de situations rocambolesques et de deus ex machina abracadabrantesques. Je conçois que certains s’ennuient, détestent, conspuent. Mais je me fais une tartine
et je repense à ce quotidien comme tous les quotidiens, faits de réveils trop matinaux, du même trajet, des mêmes gestes, des mêmes paroles saugrenues devenues ordinaires. Des mêmes petites habitudes, de celles que l'on n’interroge plus. Quotidien commun, celui de Paterson, le mien, le tien, mais dans lequel on nous donne à voir les petits éclats bizarres qui font naître la poésie.
Loin d’être de ces poètes torturés, déchirés et lessivés qui détiennent LA VÉRITÉ (insérer ici angelots et trompettes), Paterson est un poète du quotidien, un poète modeste qui note dans un coin les pensées d’amour qui lui viennent, les riens étonnants qui donnent du sel, qui écoute les autres voix décalées qui n’ont pas besoin de venir de plus loin que la ville dans laquelle il vit, parce que chacun peut être un peu poète.
En allant chercher la demi-baguette du dimanche matin, ce matin
Dans une ville qui se frotte les yeux et replie la couette sur son nez
En se préparant au -15° C qui arrive à grands coups de vent
En ne croisant qu’un corbeau qui sautille à la recherche d’un ver
Et le couinement de mes chaussures sur l’asphalte blanchit
Je me demande ce qui m’avait tant touché dans ce film
Et ce qui pouvait bien me faire m’ébrouer de ma torpeur
C’est que Jim Jarmusch nous prouve qu’on n’a pas besoin de grandes choses
Pour faire de belles choses
(À peine peut-être d’un tout petit grain de folie)
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Créée
le 15 janv. 2017
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