Ah Paterson, mon doux Paterson. Il m'aura fallu attendre plusieurs mois pour finalement te voir alors que tu étais une priorité, étant le dernier rejeton de Jim Jarmusch. Et quel Jim ! Encore une fois, il décide de s'approcher du Sublime. Et devinez quoi ? Il a réussi. Jim a touché le Sublime. Sans artifice, sans mensonge. Sans folies, sans lubris. Non. Il l'a fait avec sa douceur habituelle.Si dans Only Lovers Left Alive, cette délicatesse avait quelques arrières goûts d'arrogance, ici, elle est mise à nue pour ce qu'elle est vraiment : Poésie.


Paterson traite de Poésie. Sujet difficile à aborder sans tomber dans le pédantisme et pourtant, Jim a réussi en assimilant Poésie et Simplicité, duo qui compose son personnage éponyme, Paterson. A la différence de son épouse, Laura, qui semble se perdre dans le grand bavardage de ce monde -elle se réfère toujours à Internet, à l'avis des autres- pour reprendre le terme heideggerien, Paterson, lui, est simple. Et cette simplicité est authentique. Son épouse se dilue dans des créations en noir et blanc (nihilisme ?) et s'étale dans tous les sens, mais reste immobile, comme ses motifs, ne sortant jamais de chez elle (sauf pour une affaire de cupcakes ..). Lui est mouvement, à travers son métier de conducteur de bus, et à travers l'acte poétique.



My legs run up
The Stairs and out
The door, my top
Half here writing.



Paterson participe à ce monde et plus encore, il en est le berger. Il est celui qui veille sur les autres avec bienveillance, l'élément stable qui observe toutes les contingences qui l'entourent sans jamais s'y dissoudre. Paterson existe, au sens le plus fort du mot (ex sistere, se tenir en dehors de), à travers ses textes.


Le Temps est également un élément capital. Cyclique, comme dans beaucoup de films de Jim (on se souvient de l'ouverture de Only Lovers Left Alive dont les personnages sont également des témoins de l'humanité), il est le temps du film, mais aussi de la création. Le film se découpe en sept jours : il commence le Lundi, finit le Dimanche. Et recommence un Lundi, etc. Les écrits de Paterson nous rencontrent un Lundi, meurent le week end, redémarrent le Dimanche avec une nouveau carnet. Et ainsi va la boucle. A rose, is a rose, is a rose, ... dirait Gertrude Stein. Paterson, chauffeur de bus, dans la ville de Paterson, etc.


Et qu'en est-il de ce véritable éloge de la Création qui a lieu entre Paterson et le japonais à la fin ? "Traduire la poésie revient à prendre une douche avec un imperméable" dira ce dernier. Et si ce film même est poésie, alors cette phrase s'applique à lui également, et aucune critique ne sera à même de mettre à jour toutes les nuances qu'il présente dans son questionnement réflexif.



I knock off my work
Have a beer
At the bar.
I look down at the glass
And feel glad.



Éloge du quotidien, Paterson est une bulle d'air dans le monde cinématographique, prenant le temps de filmer le plus évident et pourtant le plus difficile : la simplicité. Chef d'oeuvre et coup de maître en somme. Sans parler de l'esthétisme sublime du film qui est une évidence, étant le fruit de Jim Jarmusch. Et Adam Driver est super doué.

Chris-Hubert
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le 16 juin 2017

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Chris-Hubert

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