Twin Peaks
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On a l'impression que Jim Jarmusch est à l'image du héros de son film, Paterson : un artiste capable de faire des petits riens de la vie un tout fondamental, d'insuffler de la poésie aux anecdotes les plus insolitement ordinaires, de voir la beauté là où d'autres ne verraient que les choses dans leur forme la plus élémentaire, réduites à leur simple utilité matériel. Et son œuvre, à la manière des doux poèmes que son personnage inscrit sur les pages immaculées de son « carnet secret », prend l'allure d'une balade (sur)réaliste, « l'extraordinaire dans l'ordinaire ».
Lui qui, depuis ses débuts, raconte l'errance et l'ennui dans une société du progrès ultra-nerveuse où d'étranges énergumènes, figures vampiriques malgré eux (pas toujours), tentent de se faire une place, semble avoir trouver ici la quintessence de son personnage-type, homme immense et taciturne, maladroit et limite autiste, incarné avec justesse par Adam Driver – à qui les rôles de marginaux malhabile scient décidément bien – en plus d'une histoire venant couronner les précédentes : celle d'un chauffeur de bus dont l'existence s'est depuis toujours limitée aux frontières de sa ville natale et dont l'unique échappatoire demeure sa capacité à remodeler le monde et ses éléments constituants.
La boîte d'allumettes n'est plus juste un contenant inanimé, mais le symbole-même d'un amour brûlant que le quotidien ne consume pas (d'ailleurs, aucun des membres du couple ne fume!).
Alors que Paterson est incontestablement réaliste, il n'est en aucun cas prisonnier de sa réalité. Voilà que sur les pavées tangibles des trottoirs de cette ville – dont les marques économico-sociales ne sont jamais occultées – se glissent des personnages savamment esquissés et un poil loufoques, ainsi qu'un chien malicieux. Leur quotidien, narré sur une semaine, plutôt que de prendre l'aspect étouffant de la routine, se fait surprenant, à la lisière de l'incongruité, sans que notre crédulité ne soit jamais suspendue : le merveilleux là où on ne l'attend pas, comme ce bar qu'on pourrait croire imaginaire, peuplé d'âmes en peine venues siroter une bière sous les néons lumineux d'un bistrot que seuls eux semblent pouvoir / vouloir voir.
Et même si ces personnages s'ennuient, c'est cet ennui qui les occupe et les stimule, poussés à voir au-delà des choses concrètes, de réinventer leur quotidien au jour le jour. Qu'ils se rêvent autrement ou qu'ils rêvent d'ailleurs, ils sont dans la (re)création constante : recréation de leur environnement, de leurs aptitudes, ou de leurs œuvres.
Et la fin vient couronner cette philosophie sous-jacente, en ce qu'elle montre en quoi rien n'est jamais acquis, que demain est un jour nouveau, que les mots, comme les actes, ne sont pas indélébiles, et qu'il vaut parfois mieux savoir tourner la page, s'approprier les demains et réécrire l'histoire : tout est éphémère.
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Créée
le 1 janv. 2017
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5 j'aime
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