PATIENTS (14,5) (Grand Corps Malade & Mehdi Idir, FRA, 2017, 110min) :
Cette chronique lumineuse suit le parcours de Benjamin, jeune homme handicapé moteur suite à un grave accident de plongeon, tout au long de sa pénible rééducation dans un centre médical spécialisé où chaque personne lutte comme elle peut, pour retrouver le plaisir de vivre.


Le célèbre slameur Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade (nom de scène trouvé en référence à son handicap et sa grande taille) auteur de 5 albums aux textes ciselés tente une première expérience cinématographique en choisissant d’adapter librement son autobiographie « Patients » paru en 2012. Pour la réalisation il collabore avec Mehdi Idir, ancien danseur Hip-Hop devenu réalisateur. Un projet ambitieux pour un premier film de par la nature de son sujet. Éviter d’être autocentré et trop pesant le challenge était délicat. Le défi réussi.


Dès les premiers instants une caméra subjective nous place littéralement plusieurs minutes dans la peau d’un patient allongé. La vue est encore très flou, nous percevons des sons, des voix, avec comme seul vision plein cadre du plafond et des néons (composés de 245 carrés !) et des visions parcellaires de visages et de corps. Ces premières minutes permettent directement de mettre le spectateur dans le ressenti du protagoniste.


La mise en scène bienveillante plonge en immersion totale dans ce monde en vase clos et permet très vite de découvrir le quotidien complètement bouleversé de ces accidentés de la vie, personnes tétraplégiques, paralysées ou atteintes de traumatismes crâniens. L’authenticité dans les moindres détails, retranscrite par le biais de souvenirs vécus par Grand Corps Malade permet de dépeindre avec force et réalisme l’incapacité pour ces patients de produire des gestes simple : comme se laver, faire ses besoins, se lever, manger, marcher, téléphoner ou simplement pouvoir zapper avec une télécommande. Des actes devenus impossible à réaliser pour ces malades dépendant du service hospitalier. Une plongée authentique en chair et en os.


Tourné au centre de Coubert, là même où le réalisateur fut admis en 1997, la reconstitution minutieuse des lieux, agrémentés par l’utilisation d’objets usuels et des programmes télévisuels de cette année-là, apportent une touche surannée concrète et un aspect décalé assez amusant. La description de ces journées où la patience est maître mot se décline par séquences rituelles (ouverture des rideaux, petits déjeuners, toilettes, repas...) où l’on découvre des personnages atypiques, de l’aide soignant qui ne cesse de dire « il » en s’adressant aux malades, l’infirmière maladroite, et les autres malades aux personnalités contrastées mais toutes attachantes. Ses scènes filmées au prime abord par des plans serrés et fixes retranscrivent au mieux le manque d’horizon et l’immobilité du héros principal.


La mise en scène sans esbroufe judicieusement va évoluer en interactions avec l’évolution de la rééducation de Ben et petit à petit va se mettre en mouvement comme lors d’un plan séquence où pour la première fois le malade quitte sa chambre à bord d’un fauteuil roulant mécanisé. La profondeur de champ évolue au gré des déambulations offrant un nouveau champ de vision. Deux scènes jouent habilement avec l’évolution du temps qui passe avec des aspirations formelles (ralentis, plans séquences, travellings latéraux) de bonnes factures. Le rapport au temps au cœur de cet enfermement prend une autre dimension et les patients doivent trouver diverses occupations pour altérer ces interminables journées.


Au milieu de ce cadre les relations humaines font corps. Avec pudeur et sans pathos on assiste aux différentes rencontres, aux parcours psychologiques et physiques de chacun, composés d’espoirs, d’abattements, de luttes, de renoncements, d’envies, de déceptions où chacun selon sa nature tente malgré tout de reprendre le goût à la vie en sachant qu’elle ne sera jamais plus comme avant. Une bande de pote d’infortune se forme pour mieux s’amarrer à cette vie de radeau de la Méduse où le rire permet de ne pas échouer aux vagues de l’âme. Ça vanne à tour de bras avec la langue, le verbe se délie à mesure que chaque membre s’apprivoise un peu, une rééducation mentale aussi bien que physique s’opère. Un réapprentissage des sens et des sentiments où les engueulades où la drague autorisent à nouveau à ressentir la vie en soi.


Une œuvre vitale où la solidarité donne le rythme et l’énergie à l’intrigue classique de reconstruction. « Seul on est rien » a-t-on l’habitude d’entendre dans le domaine des sports collectifs, ici le destin individuel s’inscrit dans cet ensemble d’humains cabossés, une famille d’entraide où chacun y puise pour trouver la force de caractère indispensable. Parsemé d’humour, de punchlines bien sentis et de moments de solitude plus émouvants l’auteur démontre subtilement qu’au fond malgré le handicap irréversible ces êtres sont des humains comme les autres et que le regard que l’on porte sur eux ne doit pas être différent. Ce long métrage immersif au ton très juste présente de manière frontale et didactique le problème du handicap et nous invite à une belle réflexion sur nos propres comportements vis-à-vis d’eux et de notre rapport à la vie tout simplement.


Pour réussir ce projet audacieux le réalisateur a réuni un casting absolument savoureux avec dans le rôle-titre un épatant Pablo Pauly (Discount) totalement investi physiquement et mentalement et à la palette d’émotions étonnante. Le reste du casting s’avère également impeccable, notamment Soufiane Guerrab véritable porte flamme du groupe, Moussa Mansaly touchant, Franck Falise écorché et la lumineuse Nailia Harzoune font de cette excursion cinématographique en milieu fermé un moment savoureux. On ajoutera une bande sonore d’Angelo Foley collant bien à l’univers de Grand Corps Malade. Ce dernier a juste composé un morceau « Espoir adapté » en fin de générique une musique de son compositeur évitant l’écueil d’un film trop centré sur lui.


Venez-vous évader sans crainte à la rencontre de ces Patients. Découvrez ce feel good movie réussi où se cachent derrière les murs une puissante fraternité et une fulgurante envie de vivre. Tendre, sincère, humble et réjouissant.

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le 28 févr. 2017

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