Pauline à la plage démontre encore une fois que le cinéma d'Eric Rohmer est tout d'abord littéraire : un cinéma qu'il faut contempler par les mots, par la sonorité des sons sous la langue, que l'on passe du Rayon vert ou de La femme de l'aviateur, du Genou de Claire ou de bien d'autres encore.
Rohmer filme l'amour des mots, comme il filme des personnages se perdant dans leurs pensées, se perdant dans leur phrase, dans leur hésitation à choisir une vie, un chemin, une branche d'arbre sur laquelle escalader.
Pauline à la plage est installé à sa place, bien rangée dans les films de Rohmer. Et pourtant, on redécouvre toujours la même façon calme et posée des personnages, le même ton mélodieux, indescriptible, caractéristique aux films de Rohmer, au cinéma de la Nouvelle Vague ou sans doute à l'époque des années 60, où même les enfants s'exprimaient en adultes miniatures : cela, on peut le voir dans l'entretien de Jean-Pierre Léaud, 14 ans, acteur des Quatre cents coups de François Truffaut. Langage étonnant, et invisible de nos jours. Et malgré la date tardive de Pauline à la plage, on peut dire qu'Eric Rohmer est resté, et restera toujours à la vieille époque, avec son langage propre à lui-même.
Dans Pauline à la plage, il y a une femme campée par Arielle Dombasle, un ange à la blonde chevelure. La tante de celle qui porte le nom dans le titre du film : Pauline, petite nièce en vacances chez sa tante, campée par Amanda Langlet : la même qu'on retrouvera plus tard dans Conte d'été, plus âgée, devenue femme, jouant un rôle autre. Les acteurs de Rohmer se croisent et s'entrecroisent de films en films, toujours les mêmes, ou presque.
On sait dès lors avant même de voir le film, que le personnage de Pauline sera l'héroïne du film, ou autrement dit, qu'elle tiendra un rôle important.
Le surprenant est là : contrairement aux précédents films de l'auteur utilisant des adultes pour personnage principal, ici Pauline a une place toute à elle, comme si son importance était plus grande que celle de sa tante, personnage tout aussi primordial.
Quand Arielle Dombasle s'échine sur l'écran à choisir entre untel ou untel, à vivre de mots en mots, de paroles en paroles, Pauline observe, consciencieuse. Elle voit tout, elle entend tout, et elle s'interroge, aussi, comme tout bon personnages Rohmeriens.
Mais un titre a-t-il une réelle importance ? Influence-t-il notre façon de regarder un film ?
En réfléchissant à cette question, j'acquiesce, et dis même que parfois, le titre est le premier élément que l'on voit en premier avec l'image, c'est donc ce qui influence notre choix.
Mais ne nous égarons pas comme les protagonistes de ce cinéma si particulier, et revenons au fait : Dans Pauline à la plage, les esprits sont torturés de ne savoir quoi choisir, de ne savoir comment prendre la facilité par le bon bout et non à l'envers, de ne savoir comment vivre, comment actionner les éléments, comment faire. Comment être dans le simple. Les personnages de Rohmer, dans Pauline à la plage et dans bien d'autres encore, tentent de vivre. Et pourtant leurs mots vont droit au but, sûr d'eux, limpides, empreints d'une beauté littéraire unique, d'un ton propre à l'époque, à la Nouvelle Vague, à Godard, ou à Rohmer peut-être. Posés, simples, clairs, c'est du théâtre que filme Rohmer, mais pourtant ça sonne comme si on regardait un film, un bon film, qui accroche tout jusqu'au bout, jusqu'aux plus petits bouts de la fin d'un film. Ils parlent comme on bâtirait des maisons, jusqu'à ce que les salives s'assèchent. Ils marchent comme on dessinerait des songes, mais ils ne passent pas à l'action.
Aucune action chez Rohmer, mais la vie qui passe et qui se questionne, les mots qui restent en surface, suspendus dans le vide, bavards, ne sachant comment faire pour connaître cette chose qu'est le mouvement, dans l'action si précieuse qui concerne toute une vie.
Il y a dans le personnage de Pauline, dans ses attitudes, ses paroles, sa façon de parler, ses choix sexuels aussi, tout d'une adulte : ses réflexions sur l'amour, ne se posant pas la question d'une barrière quelconque entre tel ou tel adulte : Rohmer la place alors sur le même piédestal que sa tante, la belle Arielle Dombasle.
Il y a dans Pauline à la plage, une ambiguïté concernant les relations amoureuses, propre à Rohmer peut-être.
Pauline à la plage : un film qu'il faut voir si l'on aime les mots, le temps qui passe et qui repasse, et l'action qui reste derrière, inerte.
Lunette
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le 22 févr. 2015

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