Objet composite, alliant à l’authenticité du documentaire l’universalité du conte, Pauline s’arrache est le premier long-métrage d’Émilie Brisavoine. Composé de fragments de vie d’une famille extravagante - en l’occurrence, celle de la cinéaste – sélectionnés parmi plus d’une centaine d’heure de rushes, le film suit l’évolution d’une adolescente, Pauline, confrontée à l’instabilité émotionnelle de ses proches. Ses frères et sœurs ont quitté la cellule familiale, ne restent que son père, Frédéric, transformiste irascible, et sa mère, Meaud, ancienne reine de la nuit pétrie de culpabilité. À fleur de peau, la jeune fille ira de déceptions amoureuses en conflits domestiques, s’émancipant lentement des affres de l’enfance pour s’acheminer vers l’âge adulte.


Gens de bien, vous êtes en droit de vous poser les questions suivantes : « Sommes-nous donc tombés si bas ? Le médium cinématographique a-t-il subi une dégénérescence telle qu’une cinéaste providentielle peut venir nous abreuver sans crainte de sa bouillie émotionno-familiale ? ». Baissez vos boucliers, vieillards de l’académie, Pauline s’arrache pourrait vous surprendre. Tourné par-dessus la jambe avec l’eau du bain et dénué de toute prétention artistique, le premier film d’Émilie Brisavoine n’en demeure pas moins une proposition du cinéma novatrice, bienvenue dans un système de production français souvent meurtri par une convenance éreintante (une fois n’est pas coutume, merci l’ACid)… Force est de constater que la sincérité de la réalisatrice pallie son inexpérience, et que l’équilibre entre l’extravagance cinégénique de ses pairs et la familiarité de leurs conflits suscite l’admiration.
Assemblage de séquences matricielles aléatoires, Pauline s’arrache ne s’impose en récit que dans l’efficience de son montage. Émilie Brisavoine, assistée de Karen Benainous, offre à cette myriade d’éléments déstructurés le formalisme du conte, proposant de facto un décalage entre les usages du genre et la truculence des membres de sa famille. Du reste, si l’épure est de rigueur pour ne pas trahir la spontanéité des élancées de Pauline, la réalisatrice, en dépit d’une retenue illusoire, ponctue son premier film d’idées de mise en scène discrètes, privant certaines séquences de son et employant une musique aussi singulière que les êtres dont elle capture l’image. Pauline s’arrache est également grevé de vidéos de famille incorporées avec maestria dans le récit ; ces dernières accentuent la violence émotionnelle de certaines parcelles de l’œuvre en rendant compte, bon an mal an, de la croissance d’un mal-être larvé… Et quid de leur participation à la caractérisation de Pauline ?


Figure d’un récit fatalement structuré autour d’elle, l’adolescente est un être hybride ; personne-personnage façonnée par des expériences troublantes, aux prises avec une révolte nubile tempérée par la fragilité affective de ses géniteurs, elle se montre aussi égocentrique que sensible à la détresse psychique de ses proches. Tantôt attachante, tantôt insupportable, elle offre – malgré elle – un dynamisme à un long-métrage autrement désarticulé. Pauline est un être en perpétuelle construction, incapable d’affronter l’avenir tant qu’elle n’aura pansé les plaies d’un passif trop lourd pour elle, remontant à l’enfance sacrifiée de ses parents… Et la cinéaste d’influer sur la narration de l’œuvre et de générer un cadre propice à l’apaisement – à moins que ce ne soit l’inverse – en confrontant ses pseudo-acteurs à leur propre reflet. Pauline s’arrache achève alors un état de complétude, révélant toute la force d’une dramaturgie aussi chimérique que cathartique, porteuse, malgré son intimisme, d’une valeur universelle. Bien au-delà du psychodrame et d’un nombrilisme apparent, le film regorge d’une puissance thématique rare et explore avec maestria les circonvolutions nébuleuses du cadre familial. Non contente de faire preuve d’un tel savoir-faire, Émilie Brisavoine livre au spectateur une œuvre subjuguante de bout en bout, offrant au spectateur une luxuriance d’émotions diverses.

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le 3 janv. 2016

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