“La presse est le premier brouillon de l’histoire”

Critique initialement publiée sur CloneWeb.net


Après Le Bon Gros Géant et en attendant le geekasm que s’annonce être Ready Player One, Steven Spielberg a tourné avec une rapidité inégalée un film sur l’autre scandale qui frappa les Etats Unis juste avant celui du Watergate : les Pentagon Papers. Tourné, post-produit et mis en musique par John Williams en moins d’un an, le film devait sortir dans le contexte actuel parce qu’il y a une forme d’urgence dans l’envie de raconter cette histoire, alors que Donald Trump est Président des Etats Unis.


Les Pentagon Papers, ce sont 7000 pages de documents classés secret défense évoquant l’implication américaine au Vietnam, la volonté des Présidents de l’époque d’intensifier les combats et les bombardements. Ces documents, commandés par le Secrétaire d’Etat à la Défense de l’époque (incarné par Bruce Greenwood dans le film) ont fuité et ont été confiés d’abord au New York Times. Mais le film s’intéresse surtout à la partie concernant le Washington Post, un journal alors détenu par une femme, Katharine Graham…


On pouvait s’attendre à ce que Pentagon Papers soit une sorte de prequel au film d’Alan J. Pakula dont il est quand même l’héritier, comme le montre le plan final, un film centré sur une enquête journalistique pure. Mais Steven Spielberg et sa scénariste Liz Hannah ne l’entendaient pas de cette oreille. Le long métrage s’ouvre donc sur une scène de guerre au Vietnam. Le réalisateur aurait pu se contenter de montrer quelques soldats dans une tente mais filme une véritable fusillade dans la jungle, où des soldats américains se font massacrer par un ennemi invisible. Le spectateur commence donc par assister à la naissance des dits Papers, jusqu’à ce qu’il soient détournés par le fameux Daniel Ellsberg pour être confiés aux journaux.


Puis on va entrer doucement dans le vif du sujet, découvrant la directrice d’un journal qui s’apprête à entrer en bourse et son rédacteur en chef qui ne sont pas toujours d’accord. Deux mondes et deux thématiques qui vont se croiser, incarnés par les toujours impeccables Tom Hanks et Meryl Streep et mis en musique par un John Williams dans une forme éblouissante.


Ce qui frappe en premier, c’est la résonance des thèmes choisis avec l’actualité. On pensait le film anti-Trump mais Steven Spielberg a révélé que le script a été écrit avant l’élection présidentielle américaine et qu’Amy Pascal l’a acheté pensant faire un film évoquant les différences entre un passé révolu et un futur prometteur, celui dans lequel Hilary Clinton aurait été Présidente. Il n’en a rien été, et le message s’est retrouvé totalement différent, Pentagon Papers évoquant la liberté d’une presse qui a été remise en question le temps d’un procès décisif. Et rien qu’en cela, le travail de Spielberg est formidable. Tout le propos sur l’indépendance des journalistes est pertinent, aidé par une réalisation millimétrée et une belle photo, des couleurs passées et un grain léger. Vous vous prendre à trouver sublimes des plans d’hommes en bras de chemise dans des bureaux, juste parce que le réalisateur a l’art du cadre parfait.


Ce dont on se doutait moins, c’est que le résultat serait aussi un film incroyablement féministe. Meryl Streep incarne une femme qui doit trouver sa place dans un monde d’hommes, ce sur quoi Spielberg insiste à travers sa mise en scène, insistant sur le fait qu’elle est perpétuellement entourée d’hommes blancs qui tentent de prendre des décisions pour elle (à travers quelques scènes montrant que la société séparait les hommes et les femmes, que ça soit dans un contexte professionnel comme personnel). C’est pourtant elle qui leur tiendra tête et qui se hissera en héros de l’histoire.


Ce qui est formidable avec Pentagon Papers, c’est qu’à l’instar de La Forme de l’Eau de Guillermo del Toro, le film dépasse son propre sujet pour évoquer d’autres thèmes. On y va pour quelque chose mais on en ressort avec un bonus, ici le parcours de Katherine Graham qui n’a jamais autant semblé d’actualité à l’heure des mouvements féministes à la Me Too. Et Steven Spielberg rappelle qu’il est un très bon conteur d’histoires, tournant à la fois des scènes de bureaux et de fusillades, trouvant moyen de rendre émouvantes des séquences où tournent de simples rotatives, multipliant les protagonistes sans jamais perdre le spectateur le tout avec un rythme endiablé et une pointe d’humour.


Non content d’être une très belle réussite technique, surtout vu les délais, Pentagon Papers se révèle aussi être un film important. La pierre à l’édifice de Steven Spielberg à l'”American Resistance” dans un monde qui en a bien besoin.

cloneweb
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le 17 janv. 2018

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