Le didactisme généreux et agaçant de Spielberg

Un film peut-il avoir de bonnes raisons de lisser la complexité de son propos et de sa forme ? (spoil : oui.)


Spielberg est sans doute le meilleur raconteur d’histoire au cinéma. Non pas que ses histoires soient les meilleures ; il ne les écrit d’ailleurs le plus souvent pas. Mais il ne s’est pas imposé pour rien comme « The Entertainment King » : son influence sur le cinéma grand public est immense.


Et ce Pentagon papers coche toutes les cases de la bonne histoire : enquête journaliste trépidante, manigances politiques, guerre du Viêt Nam ; grands sentiments et grands événements. Mais le film est un peu plus qu’une bonne histoire. Il a par exemple le bon goût de commencer au Viêt Nam, avec les soldats américains. Ce début n’est pas anecdotique : il permet d’incarner les problèmes que le film soulève, et de ne pas les traiter abstraitement.Ce n’est pas surprenant, son histoire est bien racontée. Par exemple, l’utilisation du montage parallèle est intelligent : il permet d’opposer dans un premier temps les personnages de Tom Hanks et de Meryl Streep, qui se situent dans des endroits très différents occupés à des activités très différentes (au cœur de la machine, occupé à faire du vrai journalisme pour l’un, dans des galas, occupée à la capitalisation de son journal pour l’autre), avant de finalement les réunir. Cette réunion a du sens : les deux personnages sont en réalité les deux facettes d’une même pièce, et la directrice de publication remonte dans l’estime du spectateur.


Mais justement, le récit ne serait-il pas un peu trop didactique et simpliste ?
Le film refuse de trop entrer dans les détails complexes de l’histoire, et simplifie. Ainsi, Lincoln était moins immédiatement trépidant, mais on entrait vraiment dans la machinerie, dans les rouages du système démocratique. Ici, les seuls rouages que l’on voit, ce sont ceux des presses d’imprimerie.
Pour illustrer visuellement ses idées, les effets de caméra sont d’ailleurs très appuyés : si le travelling circulaire autour de Meryl Streep signifie le tourbillon dans lequel se situe son personnage, fallait-il que le mouvement de caméra soit si long pour le comprendre ?
Autre exemple thématique : la lourdeur du discours sur la condition des femmes. Le moment où le personnage joué par Meryl Streep rencontre les financiers (tous des hommes) est saisissant, et parle de lui-même : avant qu’aucune parole ne soit prononcée, on comprend qu’elle est l’intruse. Pas la peine donc que la jeune assistante du juge, à la fin du film, n’explicite le propos !
De même que la séquence finale :


on comprend qu’il s’agit de l’affaire du Watergate… mais une réplique vient nous nommer le lieu de l’action.


Un effet au cinéma a plus de force lorsqu’il ne s’explique pas. C’est comme lorsqu’on explique une blague : elle n’est plus drôle.
Je regrette donc cette lourdeur explicative, qui gâche un peu le plaisir de penser par soi-même les images du film.


Alors, simpliste, le Spielberg ? Oui, mais sa démarche reste louable. Généreuse, même : il veut s’adresser à tous, sans non plus insulter l’intelligence de son spectateur (il ne faut pas exagérer). C’est ce qui caractérise son cinéma, même dans ses films les moins marquants : faire du bon cinéma grand public, le plaisir de toucher le plus grand nombre de spectateurs.
Sa volonté d’être compris de tous a d’ailleurs un sens dans ce film, qui veut opérer un certain « réveil » démocratique d’une Amérique léthargique. Le propos du film s’ancre dans l’actualité : faire preuve de prudence vis-à-vis du gouvernement (cf Trump), valoriser le courage de ceux qui agissent pour l’intérêt de tous (cf les lanceurs d’alerte).
Ainsi, pour réveiller les consciences, il est logique et sain de créer un film simple, didactique, et enthousiasmant.


Pentagon Papers est alors davantage un film important qu’un bon film, et je le trouve malgré tout mineur dans la filmographie du Monsieur… en attendant Ready one player, qui a l’air plus excitant.

TomCluzeau
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le 24 janv. 2018

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Tom Cluzeau

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