L'Amour, une surprenante aventure...

PERDRIX (15,6) (Erwan Le Duc, FRA, 2019, 100min) :


Perdrix déploie les ailes de la comédie romantique burlesque avec grâce, en imposant d'emblée son style rafraîchissant et sensible qui revigore la screwball comedy à la française, à travers d'atypiques histoires d'amours au cœur des Vosges.


Auteur de plusieurs courts-métrages remarqués dont "Le Commissaire Perdrix ne fait pas le voyage pour rien" (2012) et plus récemment "Le Soldat vierge" (2016) le journaliste et talentueux réalisateur Erwan Le Duc a présenté lors du dernier Festival de Cannes 2019 dans la section de la Quinzaine des réalisateurs son premier long métrage au doux titre animalier : Perdrix. Après un accueil favorable sous le soleil de la croisette, cette fiction migre dans les salles hexagonales pour prendre son envol.


Tout commence par un écran noir et une voix mystérieuse au timbre velouté, la première voie vers l'amour qui va se diffuser tout au long du film. L'amour s'invite constamment au centre des conversations de nuit sur une radio locale lors de l'émission L'amour existe, diffusée depuis son garage par une veuve éperdue depuis la mort brutale de son mari, mère de deux enfants esseulés et grand-mère d'une petite fille qui recherche désespérément l'attention de son père et l'amour va irriguer en creux toutes les relations humaines. Un quatuor familial bancal à l'image du tableau portrait du père dans certaines pièces de la maison, où les habitants semblent figés dans leur existence sans relief malgré les décors montagneux vosgiens. La mère écrit quotidiennement à son défunt amour et collectionne sans passion les amants, l'aîné officie modestement comme capitaine dans la gendarmerie de la paisible bourgade de Plombières-les-bains où rien ne se passe, le frère cadet géodrilologue (biologiste et spécialiste des verres de terres) lui s'avère plus intéressé par la vie des lombrics que par sa fille qui rêve d'être une championne de tennis de table et d'aller en internat pour fuir cette morne famille où la communication demeure en suspens. Telle une boule de bowling, Juliette Webb, une jeune femme délurée venue de nulle part et d'une indépendance absolue, va débouler pour opérer un "strike" au sein de ce cercle intime sclérosé, après s'être fait voler sa vétuste berline orange par un groupe de révolutionnaires nudistes et ses journaux intimes, véritables carnets de bords secrets qui bornent sa vie sans attaches par la pointe de son stylo, seul narrateur de ses ressentis.


Sur le principe narratif pérennisé par le célèbre Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini où un inconnu vient chambouler l'ordre établi, le scénariste et réalisateur Erwan Le Duc brode une atypique narration très écrite, où mêmes les silences sont éloquents, entre les multiples séquences loufoques qui rythment avec drôlerie le film. Un récit mélancolique ponctué de gags visuels où l'influence du cinéma de Jacques Tati et des Monty Python se fait sentir, tout comme d'autres situations où l'art du décalage et du non-sens nous évoque les brillantes œuvres de Aki Kaurismaki. Néanmoins l'auteur tout au cours tranquille mais rythmé du film va s'affranchir avec brio de ses références, pour nous offrir sa propre singularité à travers ses personnages extravagants (types passionnés par la reconstitution historique de la libération de la région lors de la Seconde Guerre mondiale, révolutionnaires nudistes...), de magnifiques séquences à l'attachante maladresse (danses de drague dans la boîte de nuit), ou à la poésie surréaliste (l'escapade nocturne dans la forêt au son du somptueux Nisi Dominus RV 608 Cum Dederit de Antonio Vivaldi) qui invite vers le lyrisme romantique avec sincérité.


Outre l'alchimie des genres plutôt bien dosé et les dialogues au verbe ciselé et aux différents tons justes pour mieux dévoiler des interrogations sur le sens de la vie et les multiples accointances entre les personnages, le cinéaste dévoile une superbe mise en scène réfléchie. En effet, Erwan Le Duc livre une réalisation où le sens du cadre accentue tantôt la profonde solitude des personnages enfermés dans leurs insipides destinées mais également leurs diverses émancipations personnelles qui s'opèrent en douceur depuis l'arrivée de la tornade Juliette dans le foyer éteint. Cette Juliette des esprits va animer la flamme de l'amoureux inconnu et apporter sans crier gare la douceur de vivre à ces êtres endormis, qu vont décider enfin de vivre, alors que les deux amants réunis par le hasard de la vie, vont s'embarquer vers l'aventure amoureuse et ensemble plonger main dans la main dans le grand lac Amour...Les paysages naturels véritable personnage du film participent aussi judicieusement à l'illustration des ressentis des protagonistes de l'histoire.


Cette rafraîchissante comédie fantaisiste amoureuse aux judicieux propos existentiels s'appuient sur une parfaite troupe d'acteurs qui distille l'humeur pince-sans-rire de l'auteur avec une évidente implication naturelle. Ce casting réussi, à commencer par la surprenante révélation de la déroutante et irrésistible Maud Wyler, bien secondé par un épatant Swann Arlaud, les touchants Fanny Ardant et Nicolas Maury, sans oublier la naturelle Patience Munchenbach, transcende les différents chemins de traverse du scénario. Une réjouissante fable sur l'amour sous toutes ses formes accompagnée par une partition musicale inventive de Julie Roué, et de pertinents apports musicaux classiques ou de chansons françaises bien choisies (Manset, Niagara...), afin d'offrir un écrin musicalement délicieux à ce fantasque film doux-amer, dont les péripéties engendrent l'envie de vivre ou d'aimer autrement chez le spectateur qu aurait laissé quelques plumes en route... Drôle. Attachant. Touchant.

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le 13 août 2019

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