Pas certain d'avoir tout saisi de cette péloche à la grande richesse thématique, mais qu'importe, ce que j'ai pu m'en approprier m'a pas mal retourné. Pendant le premier quart d'heure on se demande ce qu'avait bien pu picoler Bergman pour imprimer sur bobine une phase d'exposition aussi radicalement inspirée mais également si difficile à appréhender. On passe en effet d'une lampe qui crame, à des macchabées délicatement bordés pour finir avec un gamin qui caresse de sa main un visage captif d'un énorme écran. De quoi se poser un certain nombre de questions quand à la santé mentale de son auteur qui prouvera dans sa suite qu'il a bien toute sa tête, et bien plus. En orfèvre accompli de l'image, il va même nous lancer au visage une démonstration plastique à couper le souffle, faite de noirs et blancs somptueux dessinés par des jeux de lumière qui inspirent respect et admiration.


Et ça commence par l'omniprésence des visages, de ces gros plans aussi somptueux qu'ils sont radicaux. Radicaux, dans le sens où aucune émotion ne leur échappe. Les deux actrices qui se partagent l'affiche de Persona sont disséquées à outrance par l'habile caméra de sieur Bergman dans le seul but de faire parler leurs âmes respectives. On est dans un film fait de subtilité qui tire son essence de la confrontation à l'écran de deux âmes étant le reflet de leur époque, différentes mais finalement assez semblables, car en proie au doute et aux solutions à trouver pour le combattre. Outre la notion même du couple, Bergman s'intéresse à ce qui fait la normalité dans nos cultures occidentales. Ces préceptes que nous appliquons tous par habitude et qui semblent être la voie à suivre. Fidélité, maternité, ambition professionnelle, ce besoin de se sentir utile, tout y passe dans Persona et plus encore. Les dialogues très écrits que débite la bavarde des deux personnages sont lourds de sens, peut être un peu trop même par moment.


Mais c'est aussi cette part d'incompréhension qui se saisit de nous lorsque le film s'achève qui fait tout le charme de Persona. Plutôt court d'un point de vue durée, le film parvient malgré tout à amuser nos synapses longtemps après la séance. On se remémore en effet les scènes les plus percutantes du film, comme ce duel de personnalités qui conclue la relation des deux femmes ou encore cette première révolte de celle qui semblait la plus fragile des deux. Persona a un côté insaisissable dans ces thématiques qui le rend fascinant. Mais à ce fond parfois très volatile, Bergman oppose une mise en scène dotée d'une photographie précise et très technique, qui se joue de la lumière sans se soucier de quelconques règles, comme pour rappeler qu'il est aussi homme de précision. On retrouve ce côté versatile dans la bande son qui berce Persona. Sans se préoccuper d'être mélodique ou agréable, bien au contraire, elle vient en soutient aux émotions qui sont déployées dans le cadre, son rôle n'est pas juste illustratif, il est bel et bien complémentaire.


Cette première incursion dans l'univers d'Ingmar Bergman m'a vraiment transporté. Je suis sorti de la projection aussi septique que fasciné, animé par un sentiment assez particulier. Il m'a fallu un petit moment pour assembler dans mon esprit ce que j'avais pu comprendre du film, même si la claque visuelle avait, elle, été immédiate. Une oeuvre à part, qui porte indéniablement la marque d'un homme qui doit l'être aussi. Assez troublant.

oso
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de moins de 1h30 et L'ours, Homo Video, en 2014

Créée

le 13 mai 2014

Critique lue 351 fois

7 j'aime

oso

Écrit par

Critique lue 351 fois

7

D'autres avis sur Persona

Persona
guyness
10

Persona me gratta

C'est la première fois de ma vie que je vois un film en blanc et noir. L'anecdote qui accompagne la genèse du film permet de mesurer le gouffre abyssal qui sépare un artiste et le péquin moyen, toi,...

le 19 janv. 2013

170 j'aime

22

Persona
lowenergyidol
10

Critique de Persona par Low Energy Idol

Best Film Ever. Le titre parle déjà de lui-même : "Persona" est un terme de psychanalyse jungienne, qui signifie grosso modo "masque social". Ce "Persona" est un mécanisme psychique qui prend sa...

le 15 juil. 2012

143 j'aime

10

Persona
Flagadoss
9

Jung and innocent.

Il y a dans la vie deux types de films qui font gamberger. Ceux qui font gamberger sur un sujet aléatoire, et des films qui font gamberger sur un sujet qui vous occupait déjà l'esprit avant de voir...

le 30 juin 2011

76 j'aime

65

Du même critique

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

81 j'aime

4

Under the Skin
oso
5

RENDEZ-MOI NATASHA !

Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...

Par

le 7 déc. 2014

74 j'aime

17

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8