L'enchaînement frénétique de plans (assez étranges au premier abord) lors de l'ouverture du film résume assez bien ce que le visionnage de Persona peut représenter pour le spectateur : de la tension, beaucoup de réflexion, de la gêne mais également de l'émerveillement.

Si le scénario et les dialogues du film sont très simples et très courts, la compréhension de l'œuvre est davantage à chercher du côté de la mise en scène et les échanges de regard. D'ailleurs, Bergman ne cherche pas vraiment à faire une œuvre hermétique dans la mesure où en intitulant le film "Persona", le décryptage est d'emblée plus facile.

Petit rappel : Élisabeth, actrice, perd la parole alors qu'elle joue Electre et est donc internée. Dès lors, deux points doivent être soulevés. Tout d'abord, Bergman s'est très largement inspiré des travaux de Carl Gustav Jung qui reprend le terme latin "persona" afin de décrire le masque social que chacun est obligé d'arborer afin de tenir son rôle au sein de la société. De la même façon, Carl Gustav Jung a décrit le complexe d'Electre, sorte de complexe d'Oedipe version féminine. Ainsi, la compréhension globale de l'œuvre est relativement accessible même si la seule introduction peut être sujette à de multiples interprétations.

Là où Persona frappe très fort et est une expérience unique en son genre, c'est par la capacité de l'image et du son à éprouver le spectateur. D'ailleurs, la genèse de l'œuvre peut expliquer en partie ce sentiment. En effet, une telle nervosité et une si grande frénésie se dégagent de Persona que son visionnage rend celui qui le regarde à bout de nerfs. Tout est parfaitement millimétré : que ce soit le son (la voix des personnages est d'une très grande clarté mais est tout autant insupportable), la photographie (entièrement blanche) ou la mise en scène (parfaitement maîtrisée et ingénieuse) qui à elle seule vaut la peine que l'on voit Persona au moins une fois dans sa vie.

Ainsi, lorsqu'Alma, l'infirmière qui cherche absolument à devenir actrice comme Élisabeth finit par plus ou moins compléter son transfert, la superposition des visages met vraiment mal à l'aise. D'ailleurs, le film complet ne fait que parler de la honte ou la frustration. L'île de Fårö est un univers clos (sans contrainte sociale apparente) dans lequel le spectateur n'accède qu'après avoir subi une suite de plans hautement symboliques et où sont totalement isolés les personnages. Bref, le spectateur doit constamment s'interroger pour savoir si ce qu'il voit est réel ou non tandis que chacun des personnages vit dans sa propre réalité.

Véritable plongée des les tréfonds de l'esprit humain, Persona réussit le coup de force de rendre nécessaires et justifiés chacun de ses défauts. Ainsi, si le visionnage du film n'est pas agréable, c'est justement parce qu'il nous confronte à nos angoisses (plus ou moins connues). De la même façon, la lenteur de l'œuvre (alors qu'elle ne dure que 1h20) s'explique par la désagrégation progressive des relations entre les protagonistes (le temps que les contraintes sociales se dissipent).

Persona est peut-être la seule expérience à la suite de laquelle l'indifférent ressort plus heureux à la fin du film que celui qui a été en accord avec le propos exposé tant ce dernier est pessimiste. En effet, en 1968, Bergman déclarait : "aujourd'hui, la réalité est absurde, aussi horrible, aussi impénétrable que nos rêves. Et face à elle, nous sommes sans défense, comme dans nos cauchemars...". Or, c'est bien ici ce qui est décrit dans Persona : l'incapacité à percevoir le réel, la solitude, l'emprisonnement social, l'incompréhension et le doute : en somme, les questions universelles de tout Homme dans sa vie.

Créée

le 15 févr. 2015

Critique lue 461 fois

7 j'aime

3 commentaires

Kevin R

Écrit par

Critique lue 461 fois

7
3

D'autres avis sur Persona

Persona
guyness
10

Persona me gratta

C'est la première fois de ma vie que je vois un film en blanc et noir. L'anecdote qui accompagne la genèse du film permet de mesurer le gouffre abyssal qui sépare un artiste et le péquin moyen, toi,...

le 19 janv. 2013

170 j'aime

22

Persona
lowenergyidol
10

Critique de Persona par Low Energy Idol

Best Film Ever. Le titre parle déjà de lui-même : "Persona" est un terme de psychanalyse jungienne, qui signifie grosso modo "masque social". Ce "Persona" est un mécanisme psychique qui prend sa...

le 15 juil. 2012

143 j'aime

10

Persona
Flagadoss
9

Jung and innocent.

Il y a dans la vie deux types de films qui font gamberger. Ceux qui font gamberger sur un sujet aléatoire, et des films qui font gamberger sur un sujet qui vous occupait déjà l'esprit avant de voir...

le 30 juin 2011

76 j'aime

65

Du même critique

Les 8 Salopards
Kevin_R
3

Les 8 insupportables bavards

Au regard de l'accueil critique très favorable de la majorité des spectateurs, il me semble d'abord nécessaire de prouver ma bonne foi avant tout propos. J'ai découvert Quentin Tarantino alors que...

le 10 janv. 2016

20 j'aime

3

Les Évadés
Kevin_R
5

Under Control

Si la réalisation de The Shawshank Redemption est marquée par un très grand classicisme, ce défaut d'originalité permet néanmoins au récit de se dérouler sans véritable accroc dans le rythme. Les...

le 8 mars 2015

19 j'aime

4

Les Sept Samouraïs
Kevin_R
9

You'll never walk alone

Œuvre quelle que peu à part au sein de la filmographie de Kurosawa, Les Sept Samouraïs constitue pourtant l'un des ses plus grands films. Le long-métrage interpelle d'abord par son apparente...

le 28 févr. 2015

11 j'aime

6