Primé au festival de Cannes pour sa mise en scène, le dernier Olivier Assayas est à part dans la filmographie du réalisateur, qui jusque-là nous parlait surtout de cinéma et le flou qu’entretient les protagonistes entre leur vrai « moi » et les personnages qu’ils incarnent dans leur métier d’acteur, lorgnant vers un registre méta, comme pour faire réfléchir sur le média auquel le réalisateur est rattaché.


Si on s’en tient au synopsis, on n’y verrait simplement qu’une énième histoire de fantôme qu’on pourrait retrouver dans n’importe quelle grande chaîne TV un week-end histoire de passer le temps en se divertissant. Par bonheur, Assayas nous emmène vers d’autres contrées sur des thèmes plus existentiels.


Maureen est une Personal Shopper, son travail consistant à acheter pour une célébrité avec l’argent qu’elle lui donne les vêtements et cosmétiques dont elle a besoin. À côté, cette femme un peu paumée dans Paris n’arrive pas à faire le deuil de son frère. Medium de son état, elle espère pouvoir rentrer en contact avec lui sans réellement y croire. En effet, elle n’a jamais crue à une vie après la mort, elle dit qu’elle ressent des vibrations comme une sorte d’intuition, mais rien qui puisse rendre tangible cette croyance contrairement à son frère jumeau, c’est donc avec le postulat de marcher sur ses traces qu’elle espère entrer en contact avec lui, avec un désir profond d’y croire. Le fameux « I want to believe » qu’on pourrait entendre de la bouche d’un Fox Mulder dans la série X-files ou cette vieille expression inspirée de l’histoire de l’apôtre Saint-Thomas dans La Bible « Je ne crois que ce que je vois », une position des plus paradoxales quand on sait qu'elle peut entrer en contact avec des esprits. Il y a également dans cette envie de croire quelque chose de personnel puisqu’elle craint de mourir de la même malformation cardiaque que son frère et sa perte la touche profondément comme si elle avait perdue quelque chose en elle, la déchirant. Comme on peut le constater lors du visionnage, la spiritualité ayant une grande place dans le film, ce qui ne signifie pas qu’il y est question de religion, loin s’en faut.


Quant à son travail, il est montré à l’écran comme monotone tant par l’expression du personnage à l’écran que le rythme usé au montage. En tenant compte de tout ce qui a été écrit précédemment, on ne peut qu'être attristé quant à sa déprime. La rendant encore plus indécise sur son avenir, ce qu'on constate lors de sa discussion avec Gary dans lequel elle ne sait plus où elle en est, restant trop attachée au souvenir de son frère.


Les spectateurs se sont plaints de la partie qui se concentre sur les échanges par SMS de Maureen avec un inconnu, reprochant le côté longuet et un suspense mal maîtrisé. Pour tout dire, l’objectif n’était pas de créer spécialement du suspense, ce qui marche dans ces scènes c’est tant bien l’ambiguïté qui règne quant à la provenance de ces appels, suivant si on adopte une démarche qui n’est pas rationnel, comme Maureen qui ne sait pas trop qui c’est, mais qui, hésitante, pense ou espère que c’est son frère qui arrive à la contacter. On pourra trouver cela idiot que le personnage échange longuement avec un inconnu, mais c’est tout à fait cohérent avec sa psychologie et son état actuel, qui ne se prête pas nécessairement à faire preuve de raison et qui a surtout besoin de soutien pour pouvoir aller de l’avant.


Passé les tourments existentiels de Maureen, Olivier Assayas créé une division entre deux espaces au sein de son film, d’un côté un monde où le personnage principal côtoie un monde matérialiste en accumulant les achats de produits de luxe pour rendre service à une bourgeoise moyennant un petit salaire, tout ce qui a de plus capitaliste. De l’autre, un espace qui est un peu hors de tout ça, comme si le personnage est transporté d’un coup hors du monde, s’évapore, comme une forme de réalité qui est parallèle à celle existante, une où il n'est plus question de matière. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est du Tarkovski au vu de mes louanges, mais n’en reste néanmoins que le bonhomme a de l’idée. Derrière sa surface explicite, il y a beaucoup de non-dit qu’on saisit avec aisance si on s’identifie à Maureen, lequel permettra de découvrir un film émotionnellement intense. Le personnage de Kristen Stewart n’étant pas d’ailleurs très bavard vu la forte introversion de ce dernier, d’ailleurs on peut remarquer qu’elle a souvent la tête ailleurs, comme pour chercher un refuge. Le lien entre le monde matériel et celui immatériel étant entretenu tout au long du film que ce soit le refuge dans le monde des idées ou celui spectrale avec diverses présences fantomatiques. La fin étant à ce sujet bien foutue avec son ambigüité qui laisse le spectateur songeur et je n'en dirais pas plus au risque d’en réduire l’impact émotionnel au cas où quelqu’un me lirait avant d’avoir vu le film.


Il y a également tout une partie sur le désir de Maureen de braver les interdits, ce qui est assez obscur au départ vu qu’on a un peu de mal à saisir le fond et sa place dans le film. En y réfléchissant et en sachant que Maureen ne va pas continuer ce petit jeu initié par l’inconnu, on finit par comprendre qu’il s’agit de parler de ses petites envies pour nous dire qu’au fond elle ne cherche pas à jouir de ce qu’un monde matériel peut lui offrir pour devenir une autre, cela n’a jamais été sa personne comme elle finit par se rendre compte un peu tard en ayant accompli ses fantasmes. Son désir s’est évaporé en l’accomplissant, accompli cela finit par la laisser totalement indifférente et tout le frisson qu’inspiré ce jeu dangereux a disparu. On peut penser qu’il s’agit ici de préserver idéalement ses fantasmes en tant qu’idée et non pas de les accomplir car il finirait par perdre leur saveur ou encore qu’elle expérimente pour se reconstruire une identité voire les deux qui sait. Eh oui le film d’Assayas est une vision d’introverti !


En parlant de jouir, on ne s’attend pas du tout à la scène de masturbation féminine, on est un peu dérouté-e quand elle arrive :3


Sur un plan strictement formel, la photographie est très bonne, les acteurs-trices jouent bien, le peu d’effets spéciaux qui furent usés sont pas foufou, mais ça passe. À part ça, voir Personal Shopper fut fort satisfaisant et change du recyclage habituel, certainement pour moi un des meilleurs films de 2016. De plus en le voyant je venais de sortir de Premier contact que j’ai tout autant apprécié, si j’en sortais avec autant de félicité qu’avec ces deux séances enchaînées à la suite, j’irais plus souvent au cinéma.


En fin de compte, il est plutôt triste de voir que ce film s’est fait démonté alors qu’il porte sur des thèmes universels et tente de donner quelque chose de différent au cinéma ou peut-être n’est-ce que ma perception qui s’exprime.


PS : La chanson du générique est très belle

Snervan
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le 3 janv. 2017

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