Une heure quarante-cinq de bonheur, parce que pour moi un film avec Kristen Stewart dans chaque plan, ou presque, ce n'est que du bonheur. Et on a l'impression que pour Olivier Assayas aussi c'est du bonheur que de filmer la petite américaine. Et il est content de lui faire ce cadeau. Moi aussi j'aimerai bien lui faire un cadeau comme ça, encore que moi aussi je peux lui écrire un film (ouais, pourquoi pas). D'ailleurs il était tellement content de la filmer qu'il l'a prise telle qu'elle était parce que sa garde-robe ressemble beaucoup à ce qu'on sait de sa vie vraie, sweat, tee-shirt déglingués et bonnet compris.
Bon, bon, ces émois passés, tachons de garder la tête froide, ce qu'Assayas n'a peut-être pas fait, tellement heureux de nous montrer Kristen sous toutes les coutures, ce que je ne saurai lui reprocher dans l'absolu mais qui a quand même tendance à faire un film un peu (beaucoup) bancal.
Éliminons une première hypothèse, à savoir celle d'une introversion. On pourrait effectivement interpréter tout le film comme une sorte de vision subjective nourrie par la névrose du personnage principal. Et d'ailleurs Assayas nous dit quelque part que c'est un film sur une reconstruction mais alors expliquez-moi la fin parce que là on en reste aux fondations. Rester ainsi collé aux basques de Kristen s'expliquerait. On a déjà vu ce genre de film où tout ce que l'on voit s'avère être une construction mentale et s'effondre dans les derniers plans. Ce genre d’œuvre s'accompagne généralement d'une virtuosité d'écriture et de réalisation toute particulière. Et justement, l'écriture...
D'abord la trame de fond, à savoir les relations avec les morts, Olivier Assayas a l'air de la poule qui a trouvé un couteau. Il est tellement content de sa trouvaille qu'il n'hésite pas à nous faire un cours avec des cautions culturelles sérieuses : Victor Hugo, Hilma Af Klint... Il nous parle de spiritualisme alors qu'il me semble qu'il s'agit de spiritisme. Je ne conteste pas le sujet, j'ai baigné dedans depuis mon plus jeune âge. Je sais donc qu'on peut communiquer avec les morts, ou d'autres entités et que celles-ci se manifestent à nous de manière diverses. Pour une fois un réalisateur français n'élude pas le sujet dans une belle ellipse bien pensante. Il y a des manifestations, il les montre.
Et il faut rendre justice au réalisateur, même s'il force un peu la dose avec les apparitions ectoplamiques, il est assez proche de la façon dont se passe les choses. Et les réactions de Maureen (appelons-la par son nom) sont également proches de la réalité, attirance, curiosité puis terreur et fuite... avant d'y revenir. Est également très vraie l'impossibilité de savoir avec qui, ou quoi, on communique. Dans ces conditions la quête du frère décédé, Lewis, devient vite une simple justification pour tout ce qu'elle peut faire d'incohérent. Et les coups de barre ici et là pour redresser le cap sont artificiels (scène du verre cassé dans le jardin, je tâche de pas spoiler).
Là-dessus on nous plaque comme un emplâtre une intrigue policière à la noix. Parce que le type on le voit venir gros comme une maison avec son air de psychopathe bien élevé. Dès le premier sms on sait que c'est lui qui exploite la faiblesse se Maureen. Et la conclusion de l'affaire est encore plus incompréhensible. Manifestement Assayas en avait rien à f...aire et il évacue le sujet avec une certaine désinvolture. Moi, en tant que spectateur lambda j'aurais quand même aimé comprendre ce qui se passe dans la chambre d’hôtel même si au fond ça n'a effectivement pas beaucoup d'intérêt.
La fin, redresse à nouveau la barre, et, loin d'être réductrice, car rien est sur et certain, nous renvoie dans les limbes du début où la connexion permanente de Maureen ne la protège pas des difficultés de communication, y compris avec elle-même. La communication avec les morts est trop subtile pour délivrer un message compréhensible, celle avec les vivants est hypertrophiée mais aboutit au même résultat.
Maintenant imaginons ce qu'aurait pu être ce film avec un peu de rigueur. On veut bien qu'Olivier Assayas se soit centré sur le ressenti de Maureen et sa reconstruction dans un cadre chaotique mais il aurait sûrement été possible de faire un film au cordeau avec la même base sans pour autant noyer le personnage principal sous un excès de scènes démonstratives mais en creusant tous les éléments dont on disposait déjà.
Je ne citerait qu'un seul exemple, Les rapports de Kyra et de Maureen. Kyra emploie Maureen (lien d'argent, lien de fluide vital, lien de sang?) mais elles ne se voient pratiquement jamais et le seul contact qu'elles ont aboutit à une impossibilité de communiquer puisque Maureen est rejetée par Kyra. Pourtant Maureen effectue pour Kyra une mission personnelle, voire intime, celle de « personnal shopper ». Maureen choisit l'image de Kyra alors que pour celle-ci c'est extrêmement important de par son métier(son occupation, pas claire tout ça). D'ailleurs, malgré l'interdit elle se glissera dans la peau de l'autre, une peau qu'elle détermine. Sans faire de la psychologie à deux balles on sent là toutes les implications de la situation et les parallèles qui fusent.
Reprenons la lecture. Comme Lewis, le frère défunt, Kyra s'avère être un double inaccessible de Maureen. La communication entre les deux femmes est réduite au minimum et lorsqu'elle est possible physiquement elle est refusée par Kyra alors que leurs liens sont profonds. Kyra est déjà un fantôme pour Maureen. Et bien qu'elles soient de la même taille, ce qui est utile pour les essayages Kyra refuse violemment que Maureen essaye ce qu'elle choisit pour elle. On comprend que contrevenir à cet interdit serait un sacrilège. Il y a quelque chose de religieux ou plutôt métaphysique puisque ça fait peur à Maureen. Et lorsque, inspirée par les messages (la tentation), elle assume la transgression les conséquences en seront dramatiques. Prendre la peau de son double amène à la disparition de celui-ci. Le parallèle entre Lewis et Kyra est indubitable, Alors se pose une question, quelle culpabilité écrase Maureen ? Celle d'être encore en vie ? Mais ni Kyra, ni Lewis ne pourront lui pardonner d'être elle-même, à savoir leur jumelle.
La déviation avec Ingo aurait pu participer à cette mécanique sans pour autant tomber dans un autre film. Il y a là une césure un peu trop brutale. Pourquoi va-t-elle à l'hôtel ? Espère-t-elle prendre plus que ses hardes à Kyra, son amant aussi ? C'est flou, parce que c'est flou aussi pour Maureen, certes, mais elle est quand même mue par une force dont on aurait aimé comprendre la nature. Et là on touche du doigt un problème majeur du film. Même si Kristen Stewart est manifestement un bel animal (je me répète mais je ne m'en lasse pas) « Personnal Shopper » ressemble à un documentaire animalier. Malgré les efforts consentis Maureen n'accède jamais à une véritable profondeur. Elle est filmée, ou conçue, trop à plat. Les façons dont elle agit, pense, ou réagit sont présentées de manière brute, sans recul. C'est un point de vue qui n'est pas forcément discutable mais nous interdit de comprendre un certain nombre de choses. A moins que l'on ai décidé de nous mettre dans la même position (quoiqu'un peu plus confortable) que Maureen. Nous sommes connectés à elle mais pas en communication. Nous ne savons d'elle que ce qu'elle veut bien dire ou montrer.
La communication (ou la non-communication) avec les morts devient alors une allégorie des rapports humains. On sent bien des présences autour de nous mais l'interface est tellement réduit qu'il nous empêche d'embrasser (c'est bien le terme) l'intégralité de l'autre. Le problème envisagé dans le final est que soi-même serait aussi un autre. Ce qui nous expliquerait pourquoi on en sait pas plus sur Maureen puisqu'on ne sait d'elle d'elle que ce qu'en fait elle sait d'elle-même.
Quel beau film on aurait pu faire. Olivier Assayas a parlé de peinture et de couleurs au sujet de ce film. Ça aurait été bien qu'il mette un peu plus de matière sur la toile.

FredericMarucco
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le 18 janv. 2017

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FredericMarucco

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